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François-Henri Désérable en Iran sur les pas de Nicolas Bouvier

L'invité de La Matinale (vidéo) - François-Henri Désérable signe "L’Usure d’un monde", récit de voyage d’un écrivain français
L'invité de La Matinale (vidéo) - François-Henri Désérable signe "L’Usure d’un monde", récit de voyage d’un écrivain en Iran / L'invité-e de La Matinale (en vidéo) / 12 min. / le 3 mai 2023
Grand admirateur de l'écrivain-voyageur genevois Nicolas Bouvier, l'auteur français François-Henri Désérable a suivi sa trace dans un Iran en pleine révolte populaire. De ses quarante jours de road-trip, il a tiré un récit intitulé "L'usure d'un monde".

Tout commence au cimetière de Cologny, à Genève, un jour de printemps 2019. En compagnie du fils de Nicolas Bouvier, François-Henri Désérable se rend sur la tombe de cet écrivain qu'il admire tant et dont la lecture a constitué pour lui "une déflagration". Sur la sépulture se trouve une petite Fiat Topolino en fer blanc ainsi qu'un galet sur lequel un admirateur a écrit: "Et maintenant, Nicolas, enseigne-nous l'usage du ciel". "C'est ce jour-là que je me suis décidé à partir en Iran en suivant l'itinéraire emprunté par Nicolas Bouvier septante ans plus tôt", se souvient l'écrivain, alors âgé de 32 ans.

En 1953, au volant de leur petite voiture, Nicolas Bouvier et son ami peintre Thierry Vernet traversent l'Europe puis l'Asie, de Belgrade à l'Afghanistan. Le récit tiré de cette expérience et qu'a signé le Genevois Nicolas Bouvier, "L'usage du monde", est aujourd'hui considéré comme "l'un des plus beaux récits de voyage, si ce n'est le plus beau récit de voyage de la littérature francophone", rappelle François-Henri Désérable.

Un pays en crise

En novembre 2022, l'auteur français, couronné en 2021 du Grand prix du roman de l'Académie française pour son ouvrage "Mon maître et mon vainqueur" (Gallimard), met enfin le cap sur l'Iran. "Je voulais essayer de revivre ce même voyage dans la tradition de l'émerveillement de la découvert des grands récits de voyage et je me suis retrouvé dans un pays en crise politique avec un peuple qui se soulevait contre son régime et ses dirigeants", raconte-t-il à la RTS. Nous sommes alors quelques semaines après la mort de la jeune Mahsa Amini, cette jeune Kurde qui portait des "vêtements inappropriés" aux yeux de la police des moeurs, et le pays abrite des manifestations sans précédent, violemment réprimées.

"Quand je suis arrivé, il y avait déjà eu 500 morts dans les manifestations et 15'000 personnes croupissaient dans les geôles iraniennes, indique François-Henri Désérable. En République islamique, on pratique la torture à grande échelle. L'une des méthodes les plus pratiquées est la torture dite 'blanche': on vous met dans une cellule à l'isolement sous un néon aveuglant, 24 heures sur 24, qui finit par vous rendre fou. Un certain nombre de prisonniers et de prisonnières sont violés alors évidemment, les manifestants et manifestantes ont peur de descendre dans la rue. Mais néanmoins ils continuent à le faire, surtout cette jeunesse iranienne dont le courage m'a particulièrement bouleversé. C'est la raison principale pour laquelle j'ai décidé de tirer de ce voyage un récit".

Galerie de personnages

Sur place, il rencontre toute une galerie de personnages qu'il décrit d'une plume ironique. "L'usure d'un monde" est ainsi truffé d'humour malgré le tragique des situations.

Entre Qom et Kashan, des militaires en treillis avaient mis en place un check-point. Ils prirent en photo mon passeport, mon visa, me demandèrent d'où je venais, où j'allais, depuis combien de temps j'étais là, et si je connaissais personnellement Kylian Mbappé. Non, dis-je, et c'était bien regrettable - mais ça n'était pas un chef d'arrestation suffisant: ils me laissèrent repartir.

François-Henri Désérable, "L'usure du monde", éditions Gallimard

Dans son récit, François-Henri Désérable décrit son émouvante rencontre avec la jeune Firouzeh au sommet du mont Soffeh, à Ispahan. La jeune femme, étudiante à Téhéran, avait décidé de gravir cette montagne pour y crier des slogans révolutionnaires. Très impliquée dans les manifestations, Firouzeh avait peur de se retrouver en prison et s'y préparait en apprenant des centaines de poèmes.

"Si un jour elle se faisait arrêter, on aurait beau l'enfermer, l'entasser dans une cellule avec des dizaines d'autres, ou à l'isolement, on aurait beau la priver de nourriture et de sommeil, l'injurier, la tabasser, la violer, il y a une chose, une petite chose qui constituait la part irréductible de son être et que rien ni personne, ni la peur, ni les mollahs, ni les gardiens ne pourraient jamais lui ôter: les poèmes qu'elle connaissait par coeur et quelle se réciterait, en attendant la mort ou peut-être, enfin, la liberté", peut-on lire dans "L'usure d'un monde".

Lorsque vous entendez cela dans la bouche d'un fille qui n'a pas 20 ans, que vous avez presque le double de son âge mais pas le quart de son courage, vous vous dites que la moindre des choses, c'est de l'écrire.

François-Henri Désérable

Mis à part quelques contrôles de police, François-Henri Désérable n'a pas rencontré de difficultés particulières à voyager en Iran, qu'il a arpenté jusqu'aux frontières du Pakistan. Mais à Saqqez, au Kurdistan iranien, il est arrêté et subit une courte garde à vue avant de se voir expulser du pays. Le motif invoqué? "Les gens d'ici ne sont pas dignes de confiance".

Propos recueillis par Frédéric Mamaïs

Adaptation web: Melissa Härtel

François-Henri Désérable, "L'usure d'un monde, une traversée de l'Iran", éditions Gallimard.

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