Dans "Le nageur", Pierre Assouline déclare son amour à Alfred Nakache
Devenu très tôt champion de France et d'Europe avant d'être sacré recordman du monde, ce sportif de haut niveau est sélectionné pour représenter la France aux Jeux olympiques de Berlin en 1936 puis à ceux de Londres en 1948. Entre-deux, Alfred Nakache est accusé de propagande antiallemande et sera déporté, d'abord à Auschwitz puis à Buchenwald. Il survivra aux camps de la mort, alors que son épouse Paule et sa fille Annie seront gazées deux heures après leur arrivée, terrible nouvelle qu'Alfred Nakache apprend plusieurs mois seulement après sa libération. L'auteur de la dénonciation? Un certain Jacques Cartonnet, son rival de natation.
Au début des années 1930, lorsque Nakache arrive en France, il devient très vite Champion de France de natation et détrône Jacques Cartonnet de cinq ans son aîné. Ce dernier, jaloux, tentera tout au long de sa carrière de récupérer ses titres, sans succès.
Quand on écrit un roman, pour faire bien ressortir le héros, il est conseillé d'avoir en face un anti-héros. Dans mon cas l'Histoire me donnait ce conflit, d'un côté Cartonnet, aryen, noceur, qui glisse vers le fascisme et de l'autre côté, Nakache, Juif d'Algérie humaniste et rigoureux.
Une osmose singulière
La période de l'Occupation est un terreau qui passionne l'auteur, si on en croit ses précédents ouvrages: "Lutetia" ou encore "Sigmaringen", qui sont des romans, alors que "Le nageur" est un récit historique biographique. Ici, en s'appuyant sur de nombreuses sources telles que des archives, des documentaires, des articles de presse ou encore des entretiens menés auprès des membres de la famille Nakache, Pierre Assouline livre une traversée du siècle époustouflante.
Il replonge lecteurs et lectrices non seulement dans cette période terrible, mais aussi dans un sport qui le fascine et qu'il pratique, la natation. En effet, l'auteur fait partie du Racing Club de France, tout comme son héros. Tous deux sont Juifs sépharades, et tous deux fréquentent, à quelques années d'intervalle, le lycée Janson-de-Sailly en France.
A la lumière de la synergie entre l'écrivain et son personnage principal, on comprend aisément la déclaration d'amour pour le champion: "Je ne parle jamais de moi dans ce livre mais je suis partout dans ce livre. Il y a une telle osmose entre lui et moi; j'ai pris tellement à cœur cette histoire", confie encore l'auteur français.
Artem, l'artiste
Le surnom d'Alfred Nakache n'est autre qu'"Artem" qui signifie "poisson" en hébreu.
Artem a enfin trouvé sa propre écriture, sa musique intérieure, sa couleur. (...) On le reconnaît à sa manière d'évoluer dans l'eau davantage et plus sûrement que lorsqu'il crawlait. (…) A se tirer vers le haut et y recevoir l'enseignement d'un maître, on finit toujours par récolter un peu de sa poussière d'or.
La carrière du nageur n'aura de cesse d'être guidée par une volonté de repousser ses propres limites, des limites imposées par ses entraîneurs, George Hermant ou encore Alban Minville, sans qui la légende Nakache ne serait jamais née. Et Pierre Assouline de conclure avec émotion: "la natation est une danse et les entraîneurs, des chorégraphes."
Layla Shlonsky/ld
Pierre Assouline, "Le nageur" , éd. Gallimard
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