Plongeant dans les eaux vertes du retable de Konrad Witz, Anne Noschis lance ses filets et en ressort un noyé. A défaut des poissons du Christ, cette pêche miraculeuse devient "pêche mystérieuse". Qui est cet homme à peine reconnaissable, aux habits de bonne facture? A-t-il détourné la rançon que le Prince-évêque de Genève doit aux Confédérés? Participe-t-il à un trafic de bijoux volés dans le trésor bourguignon, abandonné après la bataille de Grandson? Et quels sont ces dessins de Saint-Sébastien ou de nus féminins qui circulent sous le manteau?
Décidément, il y a bien des affaires qui secouent la cité du bout du lac et Jean-Louis de Savoie, le Prince-évêque, demande de l'aide à une jeune femme dégourdie: Antoinaz de Blonay, 22 ans, fille d'un ancien chambellan du duc de Savoie.
Une héroïne oubliée des historiens
Anne Noschis crée son personnage à l'aube de l'an 2000 pour en faire l'héroïne d'un premier roman historique, "La fête au château". Après avoir écrit plusieurs biographies de femmes importantes, mais délaissées par les historiens, elle retrouve joyeusement Antoinaz. Dans "La pêche mystérieuse", dont les événements se situent quelques mois après ses premières aventures, les caractéristiques de la donzelle s'affinent et s'affirment. Antoinaz est une jeune femme dégourdie, cavalière émérite, qui se bat à l'épée et cache un coutel dans sa botte. Un personnage pas si loin de la réalité.
Plus j'avance dans mes travaux, plus je trouve Antoinaz vraisemblable.
Car si l'on imagine aujourd'hui le XVe siècle avec des femmes soumises à l'autorité du mari, du frère, du père, pour l'écrivaine, tout est à nuancer. Au cours de ses recherches, Anne Noschis remarque que les femmes de la noblesse jouissent d'une grande liberté. Concrètement, elles font ce qu'elles veulent. Plus que de genre, c'est une question d'échelle sociale.
L'histoire de la ville de Genève
A Genève, Antoinaz, proche de la Maison de Savoie, est libre de circuler à sa guise. Suivant ses traces, s'attachant à ses pieds légers, Anne Noschis déroule l'histoire de la ville, traque les conciliabules, les intrigues, les contrebandes, les failles dans la Grande Histoire pour en écrire une petite.
Je dois dire que j'ai des règles, une espèce de morale d'écrivaine. A partir du moment où il y a des éléments historiques, je me dois de les respecter. Donc ce sont un certain nombre de jalons ou de repères et tout ce que j'écris doit être cohérent par rapport à ces éléments-là.
En 1477, c'est un véritable chamboulement que subit l'Europe. La mort de Charles le Téméraire à Nancy, les batailles de Grandson et de Morat en 1476 ont brassé les empires, redistribué les cartes des territoires. Les Bernois se sont emparés du Pays de Vaud. Genève doit payer un tribut aux Suisses pour ne pas être attaquée. Partout circulent des bijoux volés dans le trésor bourguignon. Dans la Genève du XVe siècle, extrêmement riche et prospère, on mène néanmoins joyeuse vie tandis que le Christ veille dans la chapelle des Macchabées.
Un tableau comme cadre au roman
Le retable de Konrad Witz, peint en 1444, attire alors tous les regards, jouant son rôle d'image pieuse propice à la contemplation. Ce tableau, première représentation topographiquement exacte de la peinture occidentale, sert de cadre au roman, vit à travers le regard des gens qui viennent le voir.
La chapelle des Macchabées est un lieu dont je fais la plaque tournante du roman, un lieu de rendez-vous, où les commères vont, après le marché, faire une petite prière, un signe de croix, se calment un peu devant ce tableau. Et puis les jeunes se donnent rendez-vous devant la "Pêche miraculeuse" et évidemment, il y a les touristes, les étrangers qui viennent le voir, comme un chanoine Médicis.
Ce tableau est utilisé par la romancière et historienne romande comme inspiration. "En remplaçant les poissons et en y mettant un mort à la place. Un roman policier, il faut un mort, non? Je me suis amusée à utiliser ces filets pour un autre usage que le peintre." Résultat: un roman sur un tableau, mais un roman dynamique qui utilise le décor de celui-ci, les activités sociales qui y sont décrites, comme les lavandières, les cavaliers savoyards qui rentrent de la chasse et les installations de tir à l’arc dans les bocages. L'intrigue s'ancre dans la réalité de l'époque pour prendre vie.
"La pêche mystérieuse" est un récit historique, un roman précieux qui fait se rencontrer les mercenaires de la Fol Vie, les vaincus, les vainqueurs de ces années troubles, qui met en marge un jeune artiste prometteur qui vient du village de Vinci, des Uranais, des Bernois, des Vaudois, quelques Italiens et tout ce monde se croise sous la plume d'Anne Noschis dans une Genève d'avant la Réforme.
Catherine Fattebert/ld
Anne Noschis, "La pêche mystérieuse", Editions Slatkine, 2023.
Vous aimez lire? Abonnez-vous à QWERTZet recevez chaque vendredi cette newsletter consacrée à l'actualité du livre préparée par RTS Culture.