Noor. Deux "o", comme deux grands yeux qui éclairent un visage harmonieux. Noor. Deux "o", comme le double zéro distinguant les meilleurs agents secrets britanniques. Telle était Noor Inayat Khan, virtuose du renseignement posant sur un monde en ruines le regard intense d'une âme habitée.
Fille d'un maître soufi d'origine princière, autrice de contes pour enfants et musicienne accomplie, Noor a tout d'une héroïne de roman. Un roman tragique, au diapason d'une vie brève qu'elle consume à miner la domination nazie. Biographe aguerri, Etienne Barilier ne se souvient pas du jour où il prend connaissance de cette figure historique. Mais il sait tout de suite qu'elle est pour lui. Qu'un roman célébrant cette personnalité paradoxale l'attend.
Le destin d'une espionne improbable
Avec "Noor", l'auteur romand s'attache à retracer le destin de cette espionne improbable au plus près de la vérité historique. On mesure, à découvrir l'abondance de détails et de scènes qu'il convoque, combien sa recherche fut intense et passionnée. Mois après mois, le roman suit le parcours, l'apprentissage et le martyre de cette jeune femme que rien ne semblait prédisposer à devenir une experte de la dissimulation.
Je pense vraiment que, si elle s'est mise à mentir au moment où elle a dû le faire, c'est parce qu'elle se sentait défendre une vérité plus profonde qui autorisait ses mensonges.
Gracieuse et menue, candide, émotive, celle qui se présente sous le nom de Nora Baker effraie de sa ferveur les services secrets britanniques pour lesquels elle souhaite œuvrer. Mais elle possède un atout, issu de sa pratique de la harpe: une dextérité manuelle qui fait d'elle la meilleure télégraphiste qu'on puisse imaginer.
Au gré des planques et de ses missions de plus en plus périlleuses, la "fleur fragile", "l'écureuil" malingre décrit par ses collègues masculins se révèle bien plus habile qu'on l'imagine. Rétive au mensonge, elle apprend vite à tromper l'ennemi, à brouiller les pistes de ses identités multiples et de ses codes secrets. Mieux encore, elle se met à prendre goût aux délices de la fiction.
Elle s'aperçoit, à la lisière de sa conscience, qu'on peut glisser hors de la vérité comme elle glisse dans la fiction, avec la même sensation délicieuse et protectrice d'entrer dans un bain tiède.
Une héroïne "culottée"
C'est qu'en ces temps de guerre, "la réalité finit toujours par imiter la littérature", comme nous le rappelle, malicieux, le narrateur de "Noor". Plusieurs des protagonistes de cette histoire, affectés aux services secrets de Winston Churchill, ont fait fructifier leur science de l'espionnage dans le monde du cinéma britannique, tels Paul Dehn, scénariste de "Goldfinger", ou Selwyn Jepson, auteur d'un roman adapté par Alfred Hitchcock sous le titre "Le grand alibi".
Portrait d'époque autant que biographie intime, "Noor" parcourt ainsi avec un égal bonheur l'avant-scène et les coulisses, jouant de la simultanéité entre les intrigues de son personnage et le monde artistique de son temps, des créations théâtrales de Claudel aux concerts de Wanda Landowska.
La fiction personnelle de Noor, elle, est invariablement tragique. Fascinée par la figure de Jeanne d'Arc, la jeune femme se rêve un destin sacrificiel que rien ne saurait détourner. Ni l'amour ni l'imminence d'un danger mortel.
D'un courage admirable, Noor Inayat Khan, assassinée à Dachau en 1944, rejoint ainsi, par la grâce de ce roman palpitant, les héroïnes "culottées" que redécouvrent aujourd'hui de nombreuses autrices et lectrices de l'ère post-#MeToo. Plus qu'une petite fille modèle, un modèle, assurément.
Nicolas Julliard/ld
Etienne Barilier, "Noor", ed. Phébus.
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