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Mathias Howald signe un récit lumineux et poignant sur les victimes du sida

L'auteur suisse Mathias Howald. [Gallimard - Simon Habegger]
L'auteur suisse Mathias Howald. - [Gallimard - Simon Habegger]
1994: l'épidémie de sida fait rage et Mathias Howald, alors jeune adolescent, tente de réfréner ses émois pour les garçons. Un soir, l'auteur lausannois tombe sur "Patchwork du sida", un documentaire qui le bouleverse et le pousse quelques années plus tard à écrire "Cousu pour toi".

"Cousu pour toi" nous replonge dans une époque pas si lointaine où le téléphone portable n'existait pas et où il fallait une taxcard pour utiliser les cabines téléphoniques. En 1994, Mathias a 15 ans, il fume des cigarettes en cachette dans sa chambre et se passionne pour l'Angleterre, MTV et la musique. Suede, Bruce Springsteen, Massive Attack et Jeff Buckley font partie de sa collection de CD.

Son quotidien s'égrène entre ses cours au gymnase et une famille qui ne sait pas très bien communiquer ses émotions. Un soir de décembre, il tombe sur l'émission "Viva" de la TSR consacrée aux "Patchwork du sida", un documentaire dans lequel on suit des hommes et des femmes ayant perdu un proche, et qui décident de lui rendre hommage en assemblant des tissus colorés. Bouleversé par ces témoignages, Mathias Howald décide d'enquêter, une fois adulte, sur ces fameux patchworks et celles et ceux qui les ont créées.

>> A voir: l'émission "Viva" consacrée aux patchworks du sida :

Patchwork du Sida : l'adieu amoureux
Patchwork du Sida : l'adieu amoureux / Viva / 50 min. / le 27 novembre 1994

Les années sida

Vivre aujourd'hui avec le sida ne ressemble en rien aux années 1990. A cette période, l'épidémie fait rage dans le milieu de la drogue et dans la communauté homosexuelle. C'est l'époque des "Nuits fauves" de Cyril Collard (1992), de "Philadelphia" avec Tom Hanks (1993), mais aussi des campagnes de pub chocs du groupe Benetton. La bande dessinée "Joe" de Derib inonde aussi les cours d'écoles et marque les esprits.

Le sida est un tabou et Mathias Howald décrit parfaitement la honte des familles qui ne font pas figurer la réalité sur l'avis mortuaire de leurs enfants. Notamment quand on lit que les dons en faveur du défunt peuvent être fait à la Ligue contre le cancer.

De son côté, Mathias lit les petites annonces du magazine l'Hebdo et rêve d'apprendre à "biner", avec un jeune trentenaire souhaitant cultiver un jardin secret. Refroidi par l'écart d'âge, celui-ci lui répondra d'attendre quelques années et de se faire "initier" par quelqu'un d'autre.

Entre autobiographie et fiction

Si Mathias Howald se confie intimement sur ses préoccupations et ses désirs d'adolescent lausannois, il nous emmène également du côté de Zurich, où vit Alexander. Dans certaines parties du texte, il imagine le quotidien de cet homme qu'il n'a jamais rencontré, mais découvert dans le fameux documentaire "Patchwork du sida". Suite au décès de son compagnon, Alexander tente de surmonter la solitude et la maladie, en cousant un de ces fameux patchworks.

Exemple d'un patchwork du sida, lors d'une exposition de 312 pièces à San Fransisco (2012). [AFP - Justin Sullivan]
Exemple d'un patchwork du sida, lors d'une exposition de 312 pièces à San Fransisco (2012). [AFP - Justin Sullivan]

Ce rituel des patchworks colorés est né aux Etats-Unis en 1987, sous l'appellation "Names Project". A l'époque, la stigmatisation sociale empêche les nombreuses victimes du sida de recevoir des funérailles. En l'absence de commémoration ou de lieu de sépulture, le patchwork était donc la seule manière pour les survivants de rappeler qu'un être aimé a vécu et laissé une empreinte sur cette terre.

De l'ombre à la lumière

Dans "Cousu pour toi", Mathias Howald rappelle à quel point certains choix, comme être soi-même ou aimer quelqu'un du même sexe, sont difficiles. Sans oublier la stigmatisation, la solitude et l'indifférence qui pendant de nombreuses années ont entouré les personnes malades du sida. A l'instar des témoignages forts et poignants de personnes séropositives qui viennent témoigner dans sa classe de jeune gymnasien.

Paradoxalement, le récit de l'auteur vaudois montre aussi la solidarité et le militantisme des PWA, les "People With Aids" (personnes malades du sida). Ces femmes et ces hommes font de la prévention, mais prennent aussi le relais de la famille quand celle-ci est aux abonnés absents. Quand à la confection des patchworks, elle permet à ces "familles de coeur" de se rassembler autour d'un projet commun et d'ajouter de la beauté et de la tendresse à la douleur. "Il faut s'entourer pour affronter la mort", confie un des protagonistes de cette histoire.

A l'heure où le sida semble maîtrisé, ces patchworks sont devenus des objets patrimoniaux, dignes d’être inventoriés et conservés dans des bonnes conditions, conclut Mathias Howald, au terme de sa quête. "Cousu pour toi" les sort aujourd'hui du placard et cela met du baume au coeur.

Sarah Clément

Mathias Howald, "Cousu pour toi", Gallimard (collection Scribes).

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