"Le jour des silures", Ruf, Seigne, Subilia et Vuataz dans le même filet

Ce récit d’anticipation est né de la collaboration de quatre plumes romandes: Matthieu Ruf, Aude Seigne, Anne-Sophie Subilia et Daniel Vuataz. Au départ, une invitation, celle du Fonds national suisse de la recherche, qui leur propose d’élaborer un contre-récit aux projets urbains qui permettrait, grâce à la fiction, d’explorer diverses formes d’habitabilité, de solidarités et de création de valeurs.

Naît alors une intrigue qui se déroule dans une Genève inondée par les eaux. Nous sommes autour de 2050, la catastrophe a eu lieu, la population s’est réfugiée dans divers endroits épargnés de la cité, dans l’espoir d’une décrue. Les protagonistes du "Jour des silures" sont à l’image des auteurs et autrices, quarantenaires aujourd’hui. Ils ont désormais la soixantaine et s’activent à plonger pour faire remonter à la surface des objets d’avant la catastrophe, des vestiges de l’ancien monde. L’un des objectifs des deux scaphandriers Boris et Salömon est aussi de retrouver les archives et plans de la ville, pour pouvoir cartographier les territoires et rebâtir.

Une cité submergée, parmi tant d’autres du globe, désormais.

Récit corail

S’ajoute à la difficulté de cette mission et aux incertitudes de cette nouvelle vie, une menace, qui couve et sème l’effroi chez les habitants, majoritairement repliés aux étages supérieurs des tours et immeubles. Dans les tréfonds des rues de la ville engloutie, les poissons silures, eux aussi, ont survécu, proliféré, grandi. Et l’on croit ces nouveaux monstres à l’origine de la disparition d’enfants. A chacune de leur apparition, un confinement est instauré, poussant les hommes et femmes à se cloîtrer. De leurs veillées naît un récit, baptisé "corail".

Vous savez sans doute que les silures n’aiment pas la lumière. Ceux d’ici vont contre leur nature. Ils résistent aux pollutions, semblent se plaire dans les eaux les plus insalubres. Ils n’ont pas de prédateur, s’introduisent régulièrement dans les bâtiments inondés.

Dans cette fiction d’anticipation, tous les sens des personnages, et par conséquent du lectorat, sont convoqués. Le monde du "Jour des silures", autant que celui à réinventer, n’est pas que visuel, il est aussi sonore, odorant, tactile, gustatif… bref, organique.

Mais il est possible d’y ajouter un sixième, qui combinerait l’intuition, l’imagination et la pulsion. Dans le texte, les quatre auteurs et autrices ont donné à ce dernier sens la forme du pronom "on", censé représenter un autre groupe de protagonistes. Ces êtres-là parlent un autre langage, ont un autre point de vue, plus neuf et plus frais. Et pour cause: ils sont aussi celles et ceux qui n’ont pas connu le monde d’avant, celui qui a précédé la catastrophe et de la submersion.

Personne sait qu’on est là à vivre au milieu des arbres exotiques et des maisons aux oiseaux, avec une tortue à deux têtes pour nous protéger, personne sait qu’on préfère ça, à ce qui reste.

"Le jour des silures", une histoire intense et dense, qui laisse peu de place au répit. Ici nous ne sommes plus dans un sentiment d’urgence, mais dans l’urgence de faire, d’agir avec de nouvelles réalités et de nouer rapidement de nouvelles solidarités, sans aucun regret pour ce qui a été et n’est plus. Les silures seraient-ils en train de susurrer qu’il est temps de transformer, se transformer et être transformés?

Céline O’Clin/aq

Matthieu Ruf, Aude Seigne, Anne-Sophie Subilia, Daniel Vuataz, "Le jour des silures", éditions Zoé.

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