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Avec "Chocolaté", Samy Manga révèle le goût amer du chocolat

L'écrivain Samy Manga. [LausannePhoto Studio]
L'invité: Samy Manga, "Chocolaté" / Vertigo / 28 min. / le 10 juillet 2023
Né dans la forêt équatoriale camerounaise, Samy Manga est écrivain, musicien, sculpteur et militant écologiste. Il se qualifie d'écopoète, défenseur d'une écriture en faveur de l'écologie et de la biodiversité. Son livre "Chocolaté" raconte le parcours de la plantation de cacao à notre tablette de chocolat.

Ce n'est pas ce que vendent les publicités pour nos tablettes préférées et pourtant, le véritable goût du chocolat, celui des fèves de cacao provenant des exploitations qui ravagent le coeur des forêts équatoriales, est amer. Dans cette forêt du Cameroun travaille Abéna, dix ans, avec son grand-père. Ce vaillant petit garçon, héros du roman d'auto-fiction de Samy Manga, va vite prendre la mesure des dégâts humains et environnementaux causés par la monoculture de la précieuse fève à la base du chocolat.

Les pays d'Afrique fournissent environ les deux tiers de la production mondiale de cacao. Mais derrière le commerce de cette matière première parmi les plus prisées au monde se cache en effet un véritable désastre écologique et social. À travers le parcours d'Abéna, "Chocolaté - Le goût amer de la culture du chocolat" révèle le côté obscur de la culture du cacao, emblématique des rapports économiques néocoloniaux qu'entretiennent les multinationales de l'or vert avec les pays du Sud.

Pauvreté des producteurs, travail forcé des enfants, empoisonnement aux pesticides, contamination des eaux et des sols, déforestation massive, perte de biodiversité… Pour les pays producteurs africains qui ne touchent qu'une infime fraction des dizaines de milliards de dollars engrangés chaque année par l'industrie, la culture du cacao a un goût bien amer.

Un récit d'auto-fiction

La couverture du livre "Chocolaté" de Samy Manga. [Editions Ecosociété]
La couverture du livre "Chocolaté" de Samy Manga. [Editions Ecosociété]

Dans ce récit où se mêlent autobiographie et enquête et où s'entrecroisent poésie, transmission de la mémoire ancestrale et indignation politique, Samy Manga revient sur les terres de son enfance, sous le grand manguier où se tient la vente annuelle du cacao. Au cœur de la nuit retentit son cri de rage devant la violence de l'exploitation des ressources et des humains du Continent Premier.

Dans le roman, Abéna est acteur et témoin du drame qui se joue depuis des décennies, le "colonialisme vert", comme l'appelle Samy Manga. "De mon point de vue, le colonialisme vert est un ensemble de prédations à la fois politiques et religieuses, imposées à l'Afrique pour s'emparer de ses matières premières", souligne l'écrivain interrogé par la RTS.

Abéna, c'est aussi un peu l'alter-ego de Samy Manga qui lui-même a travaillé dans les plantations de cacao dans son enfance. "J'y ai passé quatorze ans et j'ai aussi participé, en quelque sorte, à cet esclavagisme du cacao. Donc c'est une base qui m'a permis de réfléchir à comment exposer cette réalité au monde", indique Samy Manga.

Le côté sombre du cacao

L'ouvrage de Samy Manga se veut une enquête extrêmement documentée. L'auteur y raconte notamment la dangerosité de l'exploitation de fèves de cacao: accidents, maladies ou morts liées à la manipulation de pesticides et fongicides. Un désastre dont sont inconscients les travailleurs et dont se rendent complices certains chefs de village allant jusqu'à accuser de sorcellerie des personnes âgées des villages pour maintenir les ouvriers dans l'ignorance et l'aveuglement.

Quand on mange une barre de chocolat, il y a toute une chaîne de production qui va avec. Ce n'est pas juste un aliment. C'est aussi les plantations, la destruction de la nature, la servitude humaine, le travail des enfants

Samy Manga, écrivain

"Ça fait partie de la triste réalité de la production de cacao parce que c'est une grosse affaire. Il y a beaucoup d'argent en jeu, estime l'écrivain. L'objectif de ce livre est vraiment d'éveiller les consciences que ce soit au niveau politique ou même de la consommation individuelle. Prendre conscience de ce fléau. Quand on mange une barre de chocolat, il y a toute une chaîne de production qui va avec. Ce n'est pas juste un aliment que l'on met dans sa bouche. C'est aussi le travail depuis les plantations, la destruction de la nature, la servitude humaine, le travail des enfants. Tout cela doit nous interroger et nous pousser à chercher des solutions".

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Samy Manga raconte avec brio dans son livre tout un monde d'exploitation, à la frontière de l'intime et du politique. La force de "Chocolaté" est aussi la richesse des descriptions de l'écrivain et la poésie avec laquelle il transporte le lecteur. "Aujourd'hui, il n'y a que la culture, la spiritualité et la poésie qui sont capables de toucher l'âme et le coeur des gens", conclut Samy Manga.

Propos recueillis par Anne Laure Gannac

Adaptation web: Lara Donnet

Samy Manga, "Chocolaté - Le goût amer de la culture du chocolat", éditions Ecosociété.

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