Daniel de Roulet rend "Le bonnet rouge" aux Suisses

Il figure sur les timbres français, coiffe la tête de Marianne après celle de Louis XVI. En 2024, le bonnet rouge, aussi appelé bonnet phrygien, est encore la mascotte des JO 2024 de Paris. Comment ce couvre-chef, originellement réservé aux bagnards, est-il devenu aussi emblématique? La réponse pourrait bien être plus suisse que française.

Chair à canon

Avec "Le bonnet rouge", Daniel de Roulet raconte le destin de mercenaires suisses au service du Marquis Lullin de Châteauvieux. Au mois d'août 1790, une mutinerie du régiment a lieu dans la ville de Nancy. Quarante-deux Suisses sont condamnés dans une mise en scène sordide: beaucoup sont pendus, les autres envoyés au bagne de Brest. Quant à l'initiateur de la révolte, un certain André Soret, il est le dernier homme à subir l'effroyable supplice de la roue.

Avec le massacre des Suisses aux Tuileries, cette "affaire de Nancy" reste l'un des épisodes les plus marquants de l'histoire des vingt-quatre mille mercenaires au service du Roi de France à cette époque.

La Suisse a envoyé plus de deux millions de mercenaires à l'étranger, et à peu près un quart ne sont jamais revenus, soit tués, blessés, ou ayant déserté. J'y voyais l'occasion de raconter la Suisse par le bas

Les huit mercenaires

Ainsi, Daniel de Roulet a choisi huit mercenaires suisses, dont il avait les noms, les dates de naissance ainsi que les condamnations, et leur a inventé une biographie. Au premier plan, il y a le destin presque voltairien du jeune Samuel Bouchaye, 19 ans, acquis aux idées de Rousseau. Convaincu qu'il a tué par jalousie son rival pour l'amour de Virginie, une pêcheuse éprise des eaux du Léman, Samuel fuit et se fait engager dans le régiment de Châteauvieux. Depuis Meillerie, non loin d'Evian, Samuel et les sept autres mercenaires avec qui il se lie voyagent jusqu'à Nancy, puis enfin Brest, où ils sont condamnés à purger une peine de trente ans de bagne.

"Au sortir du bain, on te tond,

tu reçois de nouveaux habits,

une casaque rouge, deux pantalons,

deux chemises de toile,

deux paires de souliers et un bonnet,

vert pour les condamnés à perpétuité,

rouge pour ceux qui sortiront

peut-être un jour."

^{Extrait du "Bonnet rouge" de Daniel de Roulet, p.90.}

Mais la Révolution intervient dans ce terrible destin, et les mutins de Nancy, libérés, deviennent de véritables héros résistant à l'ennemi royaliste. On mandate le peintre David pour organiser un immense cortège qui les fera défiler de Brest à Paris, dans leur uniforme de bagnards. Les bonnets rouges sont jetés en l'air, geste que les Suisses accompagnent de "Liberté! Egalité!". La grande marche de l'Histoire gardera le chapeau et le slogan, tout en éclipsant leur origine.

S'acquitter d'une dette

Pour son roman, Daniel de Roulet a également puisé dans son passé familial, lié au cruel régiment de Châteauvieux: "Je connaissais l'histoire par le haut, et j'avais une espèce de dette."

A la façon de l'auteur américain Nathaniel Hawthorne, qui avait écrit "La lettre écarlate" pour réparer le crime de son propre ancêtre dans l'affaire des Sorcières de Salem, l'auteur genevois répare l'injustice par l'écriture. L'exercice est réussi, grâce à la forme de la prose découpée, qui donne des allures de ballade homérique à ce conte révolutionnaire.

Ellen Ichters/ld

Daniel de Roulet, "Le bonnet rouge", ed. Héros-Limite.

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