"La nuit au pas" d’Isabelle Cornaz, réflexion poétique sur fond de violence

L’histoire commence en 2002 grâce à un voyage organisé par la faculté de russe de l’Université de Genève. Alors étudiante, Isabelle Cornaz découvre Moscou. Elle y reviendra par la suite, d’abord en tant qu’employée à l’ambassade de Suisse, puis comme correspondante radio pour le compte de la Radio Télévision Suisse.

Une ville organique

Durant ses années russes, Isabelle Cornaz est marquée par le côté organique de la capitale: "J’avais envie de décrire Moscou, ses couches, ses motifs, un peu comme si je devais décrire un être vivant ou comme si Moscou était l’héroïne de mon livre, en quelque sorte."

'La nuit au pas' est un récit écrit postérieurement, avec la distance et une mémoire défaillante … Pour moi, le détail était aussi une manière de m’opposer à une vision de grandeur de la ville, une ville balisée et accaparée par le pouvoir.

Dans "La nuit au pas", le lectorat découvre ainsi Moscou, non pas par des descriptions détaillées des quartiers, des monuments ou encore de ses habitants, mais par petites touches, via les souvenirs fragmentés de l’auteure.

Amours multiples

L’amour pour la Russie débute avec les mots. Pratiquant le théâtre dans une troupe amateur, Isabelle Cornaz découvre Tchekhov et d’autres auteurs russes. L’attirance s’explique aussi par l’amour de la poésie, très pratiquée en Russie, et la volonté d’apprendre une nouvelle langue.

Dans un deuxième temps, la fascination devient plus visuelle. "L’aspect de l’espace, de la photographie et de l’architecture a ensuite pris le dessus", constate Isabelle Cornaz.

Dans "La nuit au pas", l’écrivaine décrit également d’autres lieux plus reculés du territoire russe, souvent avec le même fil rouge, à savoir ce qui est caché.

La seule chose qui me rassure dans les villes secrètes, inconnues, c’est l’idée que derrière le néant se cache encore la vie, que la carte n’est pas le territoire, que là où on croyait qu’il n’y avait rien il y a des hommes.

Mystère donc mais aussi fragilité des zones non cadastrées, à l’instar des cimetières russes qui, du jour au lendemain, peuvent être la proie des promoteurs immobiliers. "Ce récit aborde aussi la tromperie, le leurre, l’arbitraire des autorités face aux citoyens", poursuit Isabelle Cornaz.

Perte et nostalgie

"La nuit au pas" aborde de manière subtile et délicate la perte: celle des souvenirs, des proches et des lieux connus. Et si la réflexion était déjà présente depuis quelques années dans l’esprit d’Isabelle Cornaz, elle prend un sens encore plus douloureux avec l’invasion de l’Ukraine par la Russie. "Moscou peut-elle survivre moralement à la guerre?", interroge l’auteure.

Isabelle Cornaz l’avoue: "La nuit au pas" est un au revoir à la Russie, mais également une manière de reprendre le contrôle de ce vaste territoire. "La Russie, je l’ai incorporée dans mes rêves et mes cauchemars. Au final, ce n’est pas nous qui occupons le territoire, mais bien lui qui nous occupe. C’est aussi une manière de remettre en cause la manière qu’ont les grands de ce monde de gérer les territoires, de les envahir et se les approprier", affirme-t-elle.

Où s’arrête la réalité? Où commence la fiction? Est-ce si important de définir la frontière? "Il arrive un moment où les lieux familiers entrent dans nos rêves", écrit Isabelle Cornaz. Une manière de dire que quoi qu'il arrive, certains espaces sont intouchables.

Sarah Clément/mh

Isabelle Cornaz, "La nuit au pas", éditions La Baconnière.

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