Il est des amitiés fugaces qui laissent une empreinte indélébile. Dans un internat mixte, au cœur de l’adolescence, Julien rencontre Alexandre. Athlétique, éloquent, cet homme charismatique l’impressionne, attise sa jalousie. Julien lui envie sa douceur, si peu valorisée au sein de sa généalogie masculine.
Bien des années plus tard, devenu berger, Julien passe l’été dans un chalet d’alpage. C’est là qu’il découvre, dans un vieux journal destiné à faire flamber son poêle, la mise en examen d’Alexandre Perrin, vétérinaire de la région lyonnaise accusé du meurtre d’un chasseur. Et c’est là que débute, par un coup de planche mal ajusté, le récit de cette fascination sourde pour un ami lointain.
Une virilité nouvelle
Avec "La foudre", son septième roman, Pierric Bailly conte à la première personne la trajectoire tortueuse d’un homme sous influence. Car l’arrestation d’Alexandre l’affecte bien plus qu’il ne l’imaginait. Obsédé par les souvenirs de leur jeunesse commune, Julien confesse: "Je pensais à lui tous les jours, tout le temps".
Quand on y pense, l’influence de ce type sur ma vie est démente. Ce type avec lequel je n'ai rien partagé d'important et que j'ai finalement peu fréquenté est à l'origine de tous les tournants décisifs de mon existence.
Face au modèle ombrageux de son grand-père, dit "Papi John", Alexandre représente pour lui l’exemple d’une virilité nouvelle, douce et sensible, incompatible avec la violence dont on l’accuse. Désireux de comprendre l’impensable, le narrateur contacte Nadia, la compagne d’Alexandre. Se noue entre eux une relation qui prend un tour passionnel, à mesure que Julien se glisse dans les pas de cet ami absent, reconnu coupable et incarcéré pour plusieurs années.
Jeux de doubles
Un homme qui prend la place d’un autre: on pourrait percevoir dans ce pitch l’écho de thrillers machiavéliques, transposition haut-jurassienne du "Talentueux Mr Ripley" de Patricia Highsmith. Sauf qu’ici l’amour survient sans calcul, frappant, comme la foudre, ces cœurs au dépourvu. Il y a là, dans ce jeu de doubles et de substitutions, l’exploration renouvelée d’une thématique chère à l’auteur français.
Écrire des livres, c’est vivre d’autres vies par procuration.
De "L’homme des bois" (2017) au "Roman de Jim" (2021) en passant par "Les enfants des autres" (2020), Pierric Bailly interroge, roman après roman, ces rôles qu’on se donne ou que la vie nous assigne. Qu’est-ce donc qui fait de ses narrateurs des hommes, des pères, des amants?
Je calfeutre, je badigeonne, j'enduis, je maquille, je me maquille, je me poudre, en espérant me réveiller un jour en collant à l'image que les autres se font de moi. Un personnage de fiction avec ses quelques traits bien définis.
Depuis "Polichinelle", son premier roman de 2008 au style très slam, Pierric Bailly ne cesse d’affiner l’oralité de ses narrateurs masculins. Inspirées par des éléments de son propre parcours, hantées par l’atmosphère si singulière de son Jura natal, décrite avec minutie, ses intrigues familiales se déploient en une diversité de formes et de jeux narratifs qui dépassent le cadre de l’autofiction.
Humour et drame
Julien, pour l’examen oral du bac, planche sur "Les confessions" de Jean-Jacques Rousseau. Une référence qui dit, en sous-main, quelque chose du projet romanesque de Pierric Bailly. D’une honnêteté totale, ses personnages ne dissimulent rien de leurs failles, jouant avec un humour toujours alerte des maladresses de ces hommes irrésolus. L’éclair vif de la passion, la puissance des sentiments explorés n’en sont que plus implacables.
Nicolas Julliard/mh
Pierric Bailly, "La foudre", ed. P.O.L.
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