Dans "Instructions pour quitter le chalet", troisième nouvelle de "Tombola", Espe, qui a prévu de passer un week-end de l’Ascension tranquille et seule dans le chalet familial, se retrouve complètement désemparée quand elle découvre que le toit de l’habitation a été éventré par la chute d’un arbre.
Passé le moment de stupeur, Espe sort s’asseoir sur le banc accolé au mur. Dehors, rien n’a changé. C’est le début de l’après-midi. Une boule dans la gorge, elle laisse le bois de mélèze réchauffer son dos. Son T-shirt est encore mouillé de transpiration, à cause de la montée à pied.
Que les événements se déroulent à la montagne en France, dans l’estuaire du Saint-Laurent au Canada, dans un parc animalier en Suisse ou sur un site celte en Grande-Bretagne, que les héroïnes aux âges et parcours différents se déplacent à vélo, à pied ou en voiture, qu'elles exercent des métiers aussi variés que l’ébénisterie, les soins animaliers ou la profession de bibliothécaire, tout, absolument tout dans "Tombola" est extrêmement bien documenté, écrit avec une grande précision et subtilité.
Des détails qui s’intègrent de manière fluide dans le fil du récit qu'on ne quitte plus des yeux. Et pour cause: nous sommes en constante identification avec ce que vit chacun des personnages. Une réussite que l’auteur genevois Jérémie Gindre attribue au fait d’écrire le plus souvent au présent ce qui se passe, en temps réel.
Peu de répit donc pour ces nouvelles qui se succèdent et ne se ressemblent pas. Elles sont pourtant liées entre elles par la quasi omniprésence de la météo, des animaux et d'un personnage féminin, généralement affublé d’un prénom évoquant une part de mystère et de dépaysement. Sans oublier les pointes d’humour qui font mouche à tous les coups et le cycle des saisons rythmant les 170 pages du livre et faisant résonner les histoires entre elles, à l’image de l’arc-en-ciel figurant sur la couverture.
Paysages vivants
Mais c’est sans aucun doute la manière qu'a l’auteur de traiter les paysages qui donne à "Tombola" sa plus grande force. A la fois révélateurs et catalyseurs, ils influencent les personnages, participent à la construction de leurs pensées et deviennent parfois instruments de rééquilibrage et d’apaisement. Ils leur offrent de percevoir les événements et leur biographie différemment et donc de changer de point de vue, d’ouvrir de nouvelles perspectives.
Le crépuscule est tombé. Zita regarde les plantes - des buissons, des herbes, des arbres - dans le faisceau des phares et ce qu'elle se dit c’est: ‘Ces plantes ont l’air plus vivantes la nuit que le jour. Je ne sais pas pourquoi. Elles ne font rien de spécial dans le noir, mais c’est comme si je les surprenais en train de vivre.
Pour Jérémie Gindre, les paysages sont les personnages principaux de ses récits. Ils sont déterminants et viennent en premier dans son écriture. Ce sont d’abord les lieux et les décors qui lui donnent les ingrédients de type romanesque, qui ensuite lui permettent d’insérer des personnages. Des protagonistes qu’il s’évertue à faire vivre et évoluer dans des histoires simples en apparence, mais contenant chacune une profondeur et un décentrement sur lesquels il est difficile de ne pas méditer une fois le livre fermé.
Céline O’Clin/ms
Jérémie Gindre, "Tombola", éditions Zoé.
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