Quatre romans pour plonger dans l'oeuvre de Ramuz

"Aline" est le premier roman publié par Ramuz alors âgé de 27 ans. On y lit l'histoire d'Aline, une jeune fille de dix-sept ans qui vient d'une famille modeste. Elle vit une histoire d'amour avec Julien, le fils de riches paysans. Lorsqu'elle tombe enceinte, il l'abandonne. L’histoire débouche sur une fin tragique lorsqu’Aline apprend les fiançailles de Julien. En 1967, le roman est adapté au cinéma par François Weyergans.

Elle restait la même, mais Julien n’était plus le même. Il était pareil à un homme qui s’est assis à une table servie et se lève quand il n’a plus faim. Il se lève et on voit qu’il va s’en aller et qu’on ne peut plus le retenir, parce que l’amour qu’il avait était une faim qui passe comme la faim passe.

Cette intrigue toute simple pourrait paraître naïve, mais elle est en réalité d'une grande puissance. Ramuz décrit avec subtilité les affres de la passion et pose les bases de ce style d'écriture si particulier qui lui vaudra de la part d'une certaine partie de la critique parisienne des années 1920 le reproche de "mal écrire exprès". Une langue de l'oralité avec une syntaxe et une grammaire qui ne correspondent pas aux règles édictées.

Dans une lettre à son éditeur parisien Bernard Grasset écrite en 1941, Ramuz s'explique ainsi: "J’ai écrit (j’ai essayé d’écrire) une langue parlée: la langue parlée par ceux dont je suis né. J’ai essayé de me servir d’une langue-geste qui continuât à être celle dont on se servait autour de moi, non de la langue-signe qui était dans les livres."

La vie a un visage qui rit et un visage qui pleure; elle tourne, on la voit rire; elle tourne encore et on la voit pleurer.

La peur, la malédiction, la solitude, les croyances et les superstitions sont au coeur de cette célèbre chronique montagnarde qui prend place dans un village situé dans les Alpes suisses.

Le président de la petite communauté décide de réinvestir Sasseneire, un pâturage situé en haute montagne, délaissé depuis vingt ans. Selon les anciens qui en tremblent encore, cet endroit serait maudit. Mais le président ne veut pas perdre cette bonne herbe. Suite à un vote, il est décidé de faire monter un troupeau sur cet alpage, sous la bonne garde du maître fromager et de quelques hommes. Mais très vite, un climat de crainte et de superstition prend place. Puis c'est la "maladie" qui s'attaque au bétail. La situation des hommes sur place, mis en quarantaine, continue de se dégrader.

'C’est que tu as voulu, Président, t’attaquer à plus fort que toi (...). Et elle est méchante, quand elle s’en mêle'. Parlant sans doute de la montagne: 'Il y a des places qu’elle se réserve, il y a des places où elle ne permet pas que l’on vienne...'

Dans cette œuvre, Ramuz dépeint un paysage à la fois majestueux et terrifiant, où la nature elle-même devient un personnage à part entière. Les montagnes, les forêts et les éléments déchaînés incarnent une force mystérieuse et implacable qui imprègne tout le récit. Ramuz maîtrise la création d'une atmosphère d'angoisse grâce à des descriptions évocatrices et à une tension palpable qui prévaut tout au long de l'histoire.

Il n’y avait plus de soleil. Il n’y avait plus que cette grande ombre qui a été sur nous, puis on l’a vue courir en arrière de nous, grimpant aux pentes avec une grande vitesse; les pentes d’herbe d’abord, puis les premiers rochers, et un peu moins vite à ces premiers rochers; tandis que les choses changeaient d’aspect, et la couleur de tout et même le climat changeaient.

L'auteur explore les nuances les plus profondes de la psyché humaine, alors que les personnages sont confrontés à des événements inexplicables et à des peurs irrationnelles.

"La grande peur dans la montagne" a été adapté deux fois en téléfilms, le premier réalisé par Pierre Cardinal en 1966, le second en 2006 par Claudio Tonelli. En 2023, ce récit fait l'objet d'une adaptation en roman graphique illustré par le jeune bédéiste neuchâtelois Quentin Pauchard dans le cadre de la Collection Ramuz des éditions Helvetiq.

"La beauté sur la terre" est peut-être l'oeuvre la plus lue dans les classes romandes parmi les oeuvres de Ramuz. Alors que dans "La grande peur dans la montagne" et "Derborence", la nature est source de peur et mortifère, ici Ramuz célèbre la beauté de la nature, en particulier des montagnes suisses. Il décrit la lumière et le lac est présenté comme un espace de liberté.

On ne voit rien d'abord, parce qu'il y a deux lumières: il y a celle d'en haut et il y a celle d'en bas, il y a celle du ciel et il y a celle de l'eau.

Mais ce roman paru en 1927 n'en reste pas moins une tragédie. Juliette, le personnage principal, est une allégorie de la Beauté. Jeune orpheline de dix-huit ans originaire de Cuba, elle débarque un jour dans un village vaudois du Lavaux. Elle cherche refuge chez son oncle, aubergiste de son état, qui reste sa seule famille. Mais dès les premiers jours, la jeune fille ne quitte pas sa chambre, et plus tard, lorsqu'elle la quitte, sa beauté à la fois étrange et innocente sème peu à peu le trouble dans le village.

Où la beauté pourrait-elle trouver place parmi les hommes, comment trouverait-elle place parmi eux?

La beauté de Juliette crée la convoitise chez les hommes et fâche les femmes. La jeune femme décide de s'installer chez Rouge, un vieux pêcheur. Mais devant la folie des hommes du village, elle finit par fuir.

Ce roman a été adapté pour la télévision en 1968 par Pierre Cardinal et en 2001 par Antoine Plantevin.

>> A écouter: l'émission Quartier livre consacrée à l'inauguration de La Muette - Espaces littéraires à Pully. Avec Stéphanie Lugon, conservatrice du musée et Daniel Maggetti, directeur du Centre des littératures en Suisse romande. :

La Muette – espaces littéraires

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Inspirée d'une vraie catastrophe naturelle survenue en 1714, ce roman est l'un des plus connus de l'auteur vaudois.

Alors qu'ils sont montés à l'alpage pour s'occuper d'un troupeau, Antoine Pont et son oncle sont surpris par un terrible éboulement. Au village, tout le monde considère que les deux hommes ont péri. Mais Antoine a survécu. Lorsqu'il revient au village, il passe pour un revenant et peine à convaincre sa jeune épouse qu'il est bel et bien vivant, alors qu'elle porte son deuil et vient de réaliser qu'elle est enceinte.

"Derborence" décrit la lutte pour la survie de cet homme solitaire qui tente de renouer à la fois avec la nature et de donner un sens à sa survie. Ramuz sonde les profondeurs de l'âme humaine et pousse à réfléchir à la vulnérabilité humaine face à la puissance des éléments naturels.

Il appelle de toutes ses forces. Il met ses mains en porte-voix devant sa bouche, poussant dehors de toutes ses forces les trois syllabes qui font trois notes qui se suivent, et semblent d’abord s’être perdues, parce que tout un grand moment on n’entend plus rien; puis elles vous reviennent, ayant été heurter la paroi de l’autre côté de la combe.

"Derborence" a été adapté au cinéma par Francis Reusser. Le film sort en 1985 et obtient l'année suivante le César du meilleur film francophone. Il a contribué à remettre en lumière l'oeuvre de Ramuz.

En 2022, ce récit a été adapté en roman graphique par le jeune bédéiste genevois Fabian Menor dans le cadre de la Collection Ramuz éditée chez Helvetiq.

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