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"Pauvre folle" de Chloé Delaume, littéraire, à la folie, passionnément

Chloé Delaume. [Bénédicte Roscot]
Entretien avec Chloé Delaume, autrice de "Pauvre folle", éd. Seuil / QWERTZ / 26 min. / le 11 septembre 2023
Dans "Pauvre folle", son 29e roman, Chloé Delaume dissèque la vie chahutée d’un personnage qui lui ressemble. Entre rail trip et huis clos, l’autrice française fait explorer à Clotilde Mélisse, son alter ego romanesque, les formes et matières de sa vie amoureuse.

Les signes sont explicites, on ne peut plus prétendre le contraire: la fin du monde est palpable, l’époque s’appelle "Trop tard". L’ambiance est propice aux bilans, et c’est dans ce contexte que s’engouffre "Pauvre folle", le 29e roman de Chloé Delaume, lancé à grande vitesse dans la vie mouvementée de Clotilde Mélisse.

Orpheline en exil

Elle vit avec son chat Citrouille, compagnon fiable quelle que soit l’heure de la nuit. Elle tire les cartes pour s’éclairer sur les choix amoureux qu’elle doit prendre – mais suit rarement leurs recommandations. Elle passe les fêtes de fin d’année entre copines, parce qu’elle a toujours eu la famille en horreur. On peut la comprendre: à dix ans et trois mois, Clotilde Mélisse assiste au meurtre de sa mère. Son père, auteur de ce féminicide, pointe l’arme sur sa fille avant de la retourner contre lui.

Epargnée mais détruite, l’orpheline est placée chez sa tante, que tout oppose à sa défunte mère. Dans ce nouveau foyer très lisse d’une banlieue morose, le climat lui est hostile et son adolescence prend toutes les formes du rejet. Le seul refuge de cette orpheline est la littérature, au goût de laquelle sa mère, professeure de français, a pris le soin de l’initier:

Le mercredi sa mère pour être à ses copies sans l’avoir dans les pattes lui faisait écrire des poèmes, au début en vers libre, seules les rimes importaient, mais depuis peu soumis à des consignes plus fermes, exercices de métrique, huit pieds, octosyllabes.

Chloé Delaume, "Pauvre folle"

Chocs esthétiques puis traumatiques

Clotilde Mélisse est un double de Chloé Delaume. Dans "Pauvre folle", elle s’appuie sur cet alter romanesque pour revisiter ces chocs esthétiques puis traumatiques qui ricocheront sur le reste de son existence: sa détestation des gamins, qui réveillent sa propre enfance tourmentée. La gestion de ses symptômes psychotiques et de sa bipolarité, tardivement diagnostiquée.

L’écriture comme la création d’une zone symboliquement habitable. Son rapport aux hommes, qu’elle ne supporte plus dans leur grande majorité, "sachant pourtant combien c’est mal, très mal, de généraliser". Et la difficulté, pour une femme, à vivre une histoire d’amour valable quand la "révolution violette", la quatrième vague féministe, met les pleins phares sur les derniers bastions du patriarcat: "prédation et domination; impunité sociale, ombilic culturel".

Langue bien trempée

Chloé Delaume n’a pas la plume dans sa poche. Sa langue est bien trempée, et "Pauvre folle" est rythmé par les formules vitriolées dont elle asperge son récit: "L’autopsy, mine de rien, ça se pratique en silence, mais ça en fout partout". Elle est aussi allégorique, recourant aux moyens de la fable, aux cajoleries trompeuses du lyrisme, aux illusions des contes de fées et à leurs morales inversées.

Si "Le Cœur synthétique", prix Médicis en 2020, jouait intelligemment avec les codes de la chick lit, "Pauvre folle" est un autre exercice de style. "J’avais envie de jouer avec les codes du réalisme magique, du roman gothique, j’avais envie de princesses dans des châteaux métaphoriques. Je n’avais jamais travaillé dans ce pendant-là, il faut bien renouveler un peu", analyse Chloé Delaume.

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Puzzle intime

A bord du train qui la conduit à Heidelberg, cette cité romantique allemande à laquelle les lecteurs de Goethe vouent un culte, Clotilde Mélisse pioche littéralement dans son crâne pour en sortir des souvenirs et des épisodes de sa vie. Si elle parvient à recomposer le puzzle, peut-être aussi parviendra-t-elle à s’affranchir d’une relation passionnelle impossible où le désir charnel passe par le lien épistolaire.

J’ai réalisé en écrivant 'Pauvre folle' que j’écrivais pour maintenir ma mère vivante. L’écriture est quelque chose qui m’occupe depuis la fin des années 1990. La lecture et l’écriture, c’est tout ce qui me constitue. Word est le seul endroit où je me sens bien, à ma place. Oui, il n’y a que dans le traitement de texte que je suis moi-même.

Chloé Delaume

Elle-même, quelle que soit la version: enregistrée sous Clotilde Mélisse, en police féministe ou en mode plein écran, Chloé Delaume reste cet être littéraire à part entière.

Salomé Kiner/mh

Chloé Delaume, "Pauvre folle", ed. Seuil.

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