"Patate chaude", le huitième roman de Marie Beer, s'ouvre sur la mort de Kob, le meilleur ami du grand frère du narrateur. Son décès par suicide, ce dernier l'apprend via les réseaux sociaux. Bien qu'il ait perdu de vue le défunt depuis de nombreuses années, il décide de l'honorer et se présente à la cérémonie funéraire.
Durant l'enterrement, le mort est décrit par sa famille (une famille bourgeoise tirée à quatre épingles) comme un individu à la personnalité extrêmement lisse. Or la réalité est toute autre: Kob était un artiste marginal, au parcours de vie cabossé qui dessinait et jouait de la musique dans un groupe de punk-rock. Il était tout sauf lisse.
A la fin du discours donné par le prêtre, un très bon ami du défunt fait une entrée fracassante dans l'église. Il est dans un état d'ébriété avancé, titube, s'exprime de manière très familière, tape du poing dans le cercueil, avant de disparaître avec fracas.
Ce qui reste
Pour ce premier chapitre qui porte le nom du disparu "Kob", Marie Beer s'est largement inspirée de l'anecdote d'une cérémonie qui lui a été confiée. "Après avoir tapé du poing dans le cercueil, l'individu est parti. J'ai alors imaginé le silence qui a suivi une telle action. J'ai trouvé cette anecdote extrêmement théâtrale et j'ai eu envie de questionner cela: que font les gens une fois qu'on disparaît? Quelle est l'image qu'on laisse à la postérité?", explique l'écrivaine lors d'un entretien réalisé pour QWERTZ le 22 novembre.
Ce que Kob laisse de plus encombrant pour sa famille et ses proches est un chien nommé "Patate", un molosse très laid et peu commode. Ses parents refusent catégoriquement d'en prendre soin, ainsi que ses amis. Le seul qui n'arrive pas à refuser sa compagnie n'est autre que le narrateur du roman.
J'ai passé une journée d'enfer. Diane avait déposé les bagages de Patate dans l'entrée. Une coucouche panier, une gamelle, un sac de croquettes, une laisse, un manteau bleu tricoté par Kob. J'ai essayé de le promener une première fois. C'est le chien de Baskerville. Il est fou, ce truc
Une "patate chaude" encombrante
Durant la première partie du roman, le narrateur va tenter de refiler Patate, cette "patate chaude" encombrante et très poilue, aux différents membres de sa famille.
Avant d'essuyer de nombreux refus, il se tourne d'abord vers sa grand-mère, puis vers sa mère, son père et pour finir vers son propre frère, qui est d'ailleurs le meilleur ami de Kob; il paraît donc logique pour le narrateur que ce soit lui qui s'en occupe.
A travers le souhait de se "débarrasser" de l'animal, le lectorat comprend que la véritable "patate chaude" de l'histoire n'est autre que le narrateur lui-même. Car il n'arrive ni à exprimer ses propres limites ni à trouver sa place dans le monde.
Un roman réjouissant
En 2009, Marie Beer obtient un Master en Lettres à l'Université de Genève. Parallèlement à ses études, elle écrit de la fiction et des articles de presse culturelle, avant de s'engager complètement dans l'écriture créative.
Lauréate de plusieurs prix littéraires, elle remporte en 2021 celui de la Société Genevoise des Écrivains pour son oeuvre théâtrale "L'imposteuse". Une pièce portée à la scène par ses soins, qu'on peut découvrir sur les planches du Théâtricul à Chêne-Bourg, jusqu'au 3 décembre 2023.
Dans "Patate chaude", avec ses quinze chapitres finement réfléchis, ses personnages hauts en couleur, le récit débusque avec légèreté et luminosité nos propres contradictions. Un univers facétieux et drôle que Marie Beer déploie tout au long de ce huitième roman réjouissant.
Layla Shlonsky/ld
Marie Beer, "Patate chaude", éditions Encre fraîche, 2023.
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