"Humus" de Gaspard Koenig, un roman lombricomposteur réjouissant

Il existerait treize familles et plus de 7'000 espèces décrites de lumbricus terrestris, de la famille des lumbricidae. Ils représentent la première biomasse animale terrestre. Plus lourds que les humains, les éléphants et les insectes réunis, ces animaux oeuvrent pour notre salut. Sans eux, point de terre nourricière, point d'humanité. D'ailleurs, l'étymologie ne s'y trompe pas, rejoint la nature: l'Homme prend racine dans l'Humus. Né de la terre, il y retournera, et ce, peut-être plus vite que l'humanité ne l'avait prévu.

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La complainte des écolos-urbains

Axant son roman sur les trajectoires de deux amis, Arthur et Kevin, Gaspard Koenig dresse un portrait sans concession des idéaux contemporains. Ses personnages, amoureux des vers de terre, pensent trouver dans ces animaux fabuleux, bouches à l'appétit sans fin, la solution à tous les problèmes. L'un deviendra un néo-rural, tentant de rendre la terre de son grand-père à nouveau grouillante de vie, l'autre se retrouvera capitaliste green à la tête d'un empire de lombricomposteurs.

"C'est un roman très réaliste, un roman d'apprentissage comme on en écrivait au XIXe siècle, c'est-à-dire qu'on met deux jeunes gens avec leurs ambitions en face de la réalité très documentée à la fois agronomique, juridique, sociétale, économique et puis on voit ce qui se passe", explique Gaspard Koenig lors d'une interview le 30 novembre pour QWERTZ, la newsletter littéraire de la RTS.

Faisant son terreau des angoisses existentielles, l'auteur philosophe s'interroge sur l'ici et maintenant en détricotant les illusions. Car le retour à la terre n'est pas sans conséquence et les personnages de son histoire l'apprendront à leurs dépens. Si Arthur se radicalise, devenant un rebelle du végétal, Kevin traîne son spleen d'industriel décalé. Chacun tente de faire sa part, en essayant d'y croire, face à cette crise du vivant, cette sixième extinction de masse à laquelle nous sommes toutes et tous confrontés.

Des lombrics face aux étoiles

Alors que l'humanité, pour échapper au quotidien anxiogène, ne cesse de regarder le ciel, d'analyser la course des étoiles, il ferait mieux de baisser le regard. Passer de l'infiniment grand à l'infiniment petit.

C'est en pelletant que l'on apprend le monde! Gaspard Koenig, comme Charles Darwin, en fait l'expérience dans son jardin. En tapotant la surface, il fait remonter des dizaines de vers de terre.

Surpris par la multiplicité de leurs aspects et de leurs comportements, il se demande à quoi ils peuvent bien penser. La réponse se lit dans les sillons de la bestiole et permet d'ouvrir le dialogue. "L'intérêt du livre, c'est qu'il ne tranche pas, il ne juge pas entre ces deux grandes options, celle du retour à la nature, de la radicalité politique, et l'autre qui est celle du capitalisme vert, du régénératif. Le roman analyse les vices et les vertus des deux systèmes", souligne l'auteur.

L'intérêt du livre, c'est qu'il ne tranche pas, il ne juge pas entre ces deux grandes options, celle du retour à la nature, de la radicalité politique, et l'autre qui est celle du capitalisme vert, du régénératif. Le roman analyse les vices et les vertus des deux systèmes

"Dans une société très polarisée sur tous les sujets, il est important de se rappeler cette leçon qui est celle de Montaigne: comprendre, avant de juger, et même sans juger", précise l’auteur. Le roman ne se veut pas "feuille de conduite", mais ouvreur d'esprits.

"Humus", si vous le lisez, fera de vous de parfaits géodrilologues, des spécialistes des vers de terre. Ce récit à vertu de fable réaliste où le rat des villes côtoie le rat des champs, trace le portrait sans concessions de notre époque si pleine de contradictions et permet de remettre au centre du monde un être indispensable qui nous survivra: le lombric.

Catherine Fattebert/ld

_{Gaspard Koenig, "Humus", éditions L'Observatoire, 2023.}

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