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Rétrospective: quinze livres marquants de l'année 2023

"La foudre" de Pierric Bailly figure parmi les livres favoris des spécialistes littérature de la RTS en cette l'année 2023. [AFP - Riccardo Milani]
"La foudre" de Pierric Bailly figure parmi les livres favoris des spécialistes littérature de la RTS en cette l'année 2023. - [AFP - Riccardo Milani]
Journalistes spécialisés en littérature, Nicolas Julliard, Sylvie Tanette et Salomé Kiner dévoilent leurs coups de coeur littéraires suisses, français et étrangers de l'année écoulée.

CINQ LIVRES SUISSES CHOISIS PAR NICOLAS JULLIARD

Mélanie Richoz, "Nani", éd. Slatkine

Salué par le Prix du Public RTS 2023, le septième roman de Mélanie Richoz s’inspire d’une histoire vraie. Le destin dramatique d’Albina, une jeune mère de famille d’origine albanaise, mariée de force à 14 ans à une homme ultra violent. Dans une écriture ramassée, vibrante et délicate, l’autrice fribourgeoise fait bien plus que dire les violences et les espoirs de cette femme fracassée: sa plume nous les fait ressentir, composant sans effets tapageurs un des romans les plus remuants de l’année.

>> A lire aussi : Mélanie Richoz plonge dans le quotidien cauchemardesque d'une femme battue

Bruno Pellegrino, "Tortues", éd. Zoé

En neuf nouvelles aux thématiques cousines, Bruno Pellegrino interroge notre manière de structurer notre mémoire, notre rapport aux archives et aux classements. Que garde-t-on quand notre maison brûle, et comment lâcher du lest sans perdre ce qui nous constitue? Une réflexion brillante, sous-tendue par une écriture à la malice roborative.

>> A lire aussi : Avec "Tortues", Bruno Pellegrino explore les mystérieux méandres de la mémoire

Sophie Dora Swan, "Voir Montauk", éd. La Peuplade

Aventure intime et poétique, le premier roman de la Genevoise Sophie Dora Swan raconte de manière audacieuse une relation mère-fille minée par un épisode dépressif très violent. Au chevet de sa mère malade, précipitée dans un univers psychiatrique peu amène, la narratrice multiplie les dispositifs d’écriture entre prose découpée, poèmes, listes et calligrammes pour sublimer cette année d’angoisse et d’espoir. Ludique et bouleversant à la fois.

Julien Sansonnens, "Agnus Dei", éd. de l’Aire

A la manière de ses aînés Ramuz ou Chessex, Julien Sansonnens s’empare d’un fait divers sordide des années 1940 pour brosser le portrait d’une société campagnarde violemment archaïque. Un récit d’une concision puissante, servi par un sens du rythme et de la phrase à l’ironie féroce.

>> A lire aussi : Un sordide crime fribourgeois au coeur du roman "Agnus Dei" de Julien Sansonnens

Martina Clavadetscher, "Trois âmes soeurs", trad. Raphaëlle Lacord, éd. Zoé

Sacré par le Prix suisse du livre 2021, le deuxième roman de Martina Clavadetscher orchestre la dictature soft d’un futur dominé par les corps et les âmes artificiels. Vertigineux par son dispositif romanesque virtuose, machiné dans une langue qui emprunte au langage informatique certaines tournures insolites, ce récit d’une sororité souterraine réactive l’esprit des grandes fictions fantastiques, de Frankenstein à Metropolis.

CINQ LIVRES FRANCAIS CHOISIS PAR SYLVIE TANETTE

Pierric Bailly, "La foudre", éd. P.O.L

Pierric Bailly se construit un espace particulier dans le paysage littéraire, avec sa prose sans esbroufe, ses personnages de taiseux inconsolables, ses existences anonymes élevées au rang de tragédies. Ici, l’histoire d’un jeune berger dans les montagnes du Haut-Jura français. Ce trentenaire solitaire va tomber amoureux, pour son malheur, de la femme de son meilleur ami de lycée, perdu de vue depuis longtemps.

Pour raconter le piège qui va se refermer sur son héros, Bailly élabore un travail subtil où se mêlent politique et intime, sociologie et psychologie, où chaque trajectoire individuelle se révèle être le fruit de déterminismes sociaux. Un livre plébiscité cet automne alors que son précédent titre, "Le roman de Jim", va bientôt sortir sur les écrans.

>> A lire aussi : Dans "La foudre", Pierric Bailly décrit la trajectoire d'un homme sous influence

Elise Goldberg, "Tout le monde n’a pas la chance d’aimer la carpe farcie", éd. Verdier

Un des premiers romans les plus remarqués de la rentrée, et à raison. En point de départ: une narratrice récupère chez son grand-père, juif ashkenaze immigré de Pologne, un frigo qui fleure toujours bon le chou - symbole d’un encombrant, mais utile héritage. Goldberg en tire un étonnant texte hybride qui mêle des anecdotes pleines d’humour sur la gastronomie d’Europe de l’Est, des souvenirs émouvants, des références cinématographiques, et de multiples questionnements.

L’autrice retrace le parcours d’une famille frappée par l’exil et la Shoah, s’interroge sur les silences nés de ces traumatismes. Choisir un texte fragmentaire pour parler d’une mémoire fragmentaire est bien évidemment l’idée de génie de Goldberg. Et l’un des exemples les plus réjouissants de cette modernité littéraire qui consiste à briser les frontières du roman et à mêler les formes, du documentaire à la fiction.

Patrick Modiano, "La danseuse", éd. Gallimard

L’auteur de "Un pedigree", prix Nobel de littérature en 2014, distille dans ce roman ce qui fait sa singularité: un narrateur qui se souvient du Paris de sa jeunesse, ramène à la surface tout un monde englouti, tire du néant des êtres oubliés, marginaux plus ou moins inquiétants, et ramène au jour une jeune femme mystérieuse dont il était amoureux en silence.

À ce continent perdu de la jeunesse, Modiano confronte le Paris d’aujourd’hui, nous faisant mesurer le gouffre temporel qui sépare le monde contemporain de son univers intérieur. Toute la beauté de l’écriture de Modiano est là, dans un court texte qui semble contenir l’ensemble de son œuvre.

Maria Pourchet, "Western", éd. Stock

Dans "Western", Maria Pourchet décrit un acteur célèbre en cavale, accusé d’avoir manipulé une comédienne. Sociologue de formation, l'autrice sait avec brio détailler les mécanismes d’emprise d’un homme puissant sur une très jeune femme. Comme dans ses précédents romans, elle observe avec acuité le fonctionnement de notre société à travers les rouages du monde du travail, son sujet de prédilection depuis ses débuts, ici en décrivant le milieu du théâtre parisien et celui de l’entreprise.

Prix de Flore cette année, l’autrice de "Feu" (2021) a en outre une grande efficacité narrative, un sens du rythme, de l’intrigue, des rebondissements. Elle tient son récit de bout en bout, et l’inscrit dans le genre du western, dont elle adopte le rythme et les codes narratifs.

>> A lire aussi : Avec "Western", Maria Pourchet décortique brillamment le phénomène d’emprise

Neige Sinno, "Triste tigre", éd. P.O.L

Le prix Goncourt des lycéens 2023 a été attribué à Neige Sinno pour son livre "Triste tigre". [Editions P.O.L]
Le prix Goncourt des lycéens 2023 a été attribué à Neige Sinno pour son livre "Triste tigre". [Editions P.O.L]

Dans ce qui est la plus grande surprise de l’automne, Neige Sinno raconte comment durant des années, enfant et adolescente, elle a été violée par son beau-père. Un tel sujet n’avait jamais été abordé de cette manière hybride, dans un texte qui mêle autobiographie et essai. Toujours dans l’analyse de l’inceste qu’elle a vécu, envisagé comme un instrument ultime d’oppression, Sinno multiplie les références à des autrices ayant déjà écrit sur le sujet, notamment Christine Angot.

Inexplicablement refusé par plusieurs maisons d’édition, "Triste tigre" a multiplié les prix, du Femina au Goncourt suisse en passant par le Prix littéraire du journal Le Monde et celui des Inrocks, et a emballé le public, puisqu’il a galopé en tête des ventes tout l’automne.

>> A lire aussi : Neige Sinno autopsie son inceste dans "Triste tigre"

CINQ LIVRES TRADUITS CHOISIS PAR SALOME KINER

Kathryn Scanlan, "Cavaler seule", trad. de l’anglais par Laetitia Devaux, éd. La Croisée

Sonia, dresseuse et entraîneuse de chevaux native de l’Iowa, aux Etats-Unis, a passé quelques heures à raconter sa vie à Kathryn Scanlan. Ce témoignage, ciselé puis réécrit par l’autrice en une suite de courts fragments, nous fait suivre le quotidien chahuté de l’univers des courses hippiques. Entre les enjeux financiers, les accidents et les virilités toxiques, Sonia, héroïne sur terre battue, inonde cet univers âpre de sa lumière particulière.

Gabriela Wiener, "Portrait huaco", trad. de l’espagnol par Laura Alcoba, éd. Métailié

D’un côté, Gabriela Wiener porte le nom d’un ancêtre franco-autrichien, explorateur et pilleur d’objets Incas dans le Pérou du XIXe siècle. De l’autre, la journaliste sud-américaine, installée à Madrid, subit le regard inquisiteur du racisme - parfois inconscient - de l’Espagne contemporaine. Deux facettes de son existence qu’elle fait trinquer dans ce "Portrait huaco", essai romancé d’une intelligence féroce qui interroge à la fois le postcolonialisme, la famille, le désir et l’Histoire.

Joyce Maynard, "L’hôtel des oiseaux", trad. de l’anglais par Florence Lévy-Paolini, éd. Philippe Rey

L'écrivaine américaine Joyce Maynard à Paris en septembre 2022. [AFP - Stephane Mouchmouche]
L'écrivaine américaine Joyce Maynard à Paris en septembre 2022. [AFP - Stephane Mouchmouche]

Un roman-fleuve américain sur les bords d’un lac guatémaltèque? Les boussoles perdent le Nord dans le dernier pavé de Joyce Maynard. C’est normal. Quand Amelia débarque à l’Hôtel des oiseaux, elle vient de vivre une double tragédie. Elle ne tient plus à la vie, mais la vie tient à lui prouver qu’elle aurait tort d’abandonner. Dépaysant, émouvant et furieusement romanesque.

Dorothee Elmiger, "Sucre, journal d’une recherche", trad. de l’allemand par Marina Skalova et Camille Lüscher, éd. Zoé

Quel est le point commun entre un gagnant du loto, une patiente en psychiatrie, un voyage à Montaux et deux statuettes en bois d’ébène mises aux enchères à Thoune? L’enquête de Dorothee Elmiger, qui fait dialoguer tous ces sujets dans une réflexion libre, poétique et politique autour du sucre, un poison transatlantique, cruel et doux.

Nasim Marashi, "L’automne est la dernière saison", trad. du persan par Christophe Balaÿ, éd. Zulma

Leyla, Shabaneh et Rodja se sont connues à l’Université de Téhéran. Très liées, les trois amies échangent en permanence pour partager leurs soucis et leurs joies quotidiennes: leurs relations amoureuses, leurs problèmes professionnels, leurs projets pour l’avenir et l’attachement à leur famille. Mais l’harmonie de leur groupe vacille quand le mari de Leyla décide d’immigrer au Canada.

mh

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