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Joseph Incardona au pays des freaks et des affreux avec "Stella et l'Amérique"

L'écrivain Joseph Incardona. [DR - Sandrine Cellard]
Entretien avec Joseph Incardona, auteur de "Stella et l’Amérique”, ed. Finitude / QWERTZ / 32 min. / le 9 janvier 2024
Après la gravité de son excellent roman "Les corps solides", l'auteur italo-suisse Joseph Incardona nous embarque dans une histoire hilarante, outrancière, gore, rocambolesque, et même tendre. Dans "Stella et l'Amérique", second degré et atrocités cotoient une pensée sincère sur la bonté ou la consolation.

Stella? C'est cette prostituée candide de 19 ans touchée par la grâce qui, pour peu que vous la pénétriez (vaginalement), vous soignera de votre leucémie, de votre psoriasis. Si, si! Et ça commence à se savoir dans le périmètre de son camping-car.

Or l'Eglise catholique manque de saintes américaines. En même temps, le Saint-Siège ne saurait célébrer les bienfaits célestes de la fornication, contrairement à Joseph Incardona qui en préserve la beauté en refermant pudiquement la porte du camping-car sur l'accomplissement des miracles. Le Pape et ses cardinaux préféreraient donc Stella morte et martyre.

Créatures des frères Coen

Ils lancent à ses trousses un duo de tueurs d'une cruauté sans pareille (et férus de Heidegger): les frères Bronski, semblables à des créatures des frères Coen qu'on aurait oubliés dans une remise de Hollywood, et auxquels Incardona, toujours généreux, offrirait une chance de percer.

Stella est à la fois dans une forme de légèreté et de joie. Elle ne voit aucun mal dans ce qu'elle fait. C'est peut-être pour ça qu'elle a été élue

Joseph Incardona

Stella, donc, est charité. Pute et sainte, elle réunit deux lieux communs de la féminité. Elle porte en outre le nom latin de l'étoile, symbole d'une autre vertu théologale catholique: l'Espérance.

Quant à l'Amérique, c'est le vaste territoire qui longtemps représenta… l'espérance justement! L'Amérique, devenue ensuite l'antre du mal, dans le cynisme et la brutalité des romans et des films noirs chers à Joseph Incardona.

Maestria malicieuse

Certes, l'Amérique de l'espérance est échue. Et l'Amérique-antre-du-mal montre elle aussi des signes d'usure. Mais justement parce que nous nous sommes abreuvés à tant de films et de livres faits de ces mythologies, elles offrent un réservoir inépuisable d'images et d'atmosphères partagées: sur les banquettes des diners comme dans la respiration des grands espaces, l'Amérique d'Incardona, machine à divertir, reste un lieu où penser le bien et le mal.

Avec légèreté, malice et maestria, l'auteur fait rire son lecteur dès les premières pages de "Stella et l'Amérique", et l'embarque aussitôt dans une de ces intrigues dont il a le secret. Avec l'assistance, s'il le faut, de subterfuges surnaturels qui tirent le scénariste d'un cul-de-sac où il s'était malencontreusement fourré. Incardona jongle avec les clichés, les anime soudain d’humanité.

De multiples personnages

Les personnages se multiplient: un journaliste hispanique flairant le Pulitzer; un couple de forains nonagénaires et felliniens à la sexualité osseuse et réjouissante. Ou encore Franky Malone, un ancien boxeur sorti d'un précédent livre d'Incardona lui-même ("Les poings", qui reparaît d'ailleurs en poche chez Zoé). Et puis surtout, James Brown, un ancien des "marine seals" devenu curé, très ennuyé au demeurant par son nom funky, qui ressortira ses flingues pour défendre la donzelle. Après la sainte pute, la Bible et le fusil. Un scénario genré? Assez, oui. Et ça fait rire aussi.

Bonté, loyauté, consolation

C'est aussi que l'auteur ne cesse de t'interpeller, toi, lectrice ou lecteur: il te dit noir sur blanc, à la première personne, que tout ça, c'est du cinoche, qu'il est en train d'inventer cette histoire pour t'amuser (et s'amuser avec toi).  Il t'invite à être complice autour de cette Amérique de carton-pâte (le final prend significativement place à Las Vegas, la ville-toc par excellence).

Mais toi, tu refuses obstinément de ne pas croire à son histoire - tu veux savoir qui va vivre et qui va mourir - quel avatar du bien restera, quel avatar du mal périra, et tu tournes vivement les pages en t'esclaffant, soudain brièvement horrifié (sans rire) ou attendri par la douceur d’un geste.

Parce qu'une fois de plus Joseph Incardona parle de bonté, de loyauté, de consolation. Qui semble compter parmi ses vertus théologales à lui. Et tandis qu'il écrit, pour de vrai, encore un roman américain réussi, ses personnages ne cessent de te faire comprendre que la vraie vie, ça n'est pas les mots. Se lancer dans le flux palpitant, c'est là leur panache. Et le sien.

Francesco Biamonte/mh

Joseph Incardona, "Stella et l’Amérique", éditions Finitude.

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