Cécile Coulon révèle "La langue des choses cachées" pour réparer les vivants

Un paysage comme un corps de femme. Deux monts qui enserrent un torrent, surmonté par l'arche d'un pont arqué comme une bouche ouverte. Une église, vingt maisons à peine et des ruelles que le soleil n'atteint jamais. C'est là le Fond du Puits, théâtre sinistre du nouveau roman de Cécile Coulon, "La langue des choses cachées" qui sort le 11 janvier 2024 aux éditions l'Iconoclaste.

Le décor a son importance, primordiale: c'est par lui que naissent les récits haletants de l'autrice auvergnate. A voyager dans ses romans, des gorges vertigineuses de "Trois saisons d'orage" au manoir de "Seule en sa demeure", on les devinait imaginaires. Grave erreur, comme l'explique Cécile Coulon interviewée pour la newsletter QWERTZ: "C'est la rencontre avec un endroit qui fait naître tous mes livres. Tous ces lieux existent, je ne les ai pas imaginés. J'ai parfois l'impression que les lieux sont plus vivants que les personnes. Le paysage, souligne-t-elle en citant l'écrivaine Marie-Hélène Lafon, c'est le corps du pays."

La mère et le fils

Ce corps, ici, est un corps meurtri. Un corps hanté par la violence incessante de générations d'hommes brutaux. Au Fond du Puits, un enfant malade réclame la venue d'une guérisseuse. Figure essentielle de la région, sorcière de conte aux pouvoirs mystérieux, cette mère vieillissante n'est plus en mesure de se déplacer. Son fils ira donc, à la tombée de la nuit, porter secours à cette âme en souffrance.

Ce qui m'intéressait, c'était de voir à quel moment une décision est prise, susceptible de changer le cours de plusieurs vies sur plusieurs générations. A quel moment une personne se lève et quitte la pièce, à quel moment quelqu'un brandit un fusil…

Comme sa mère, ce jeune homme a le don de percevoir ce que d'autres ne voient pas. Il parle "la langue des choses cachées", entend les voix et surprend les spectres des violences passées. Epaulé par le prêtre du village, autre figure garante des secrets du passé, ce fils tente de répondre à la demande qui lui est faite. Mais des histoires anciennes rejaillissent qui l'obligent à des choix radicaux: des scènes de viol en particulier, dont le père de l'enfant malade, un monstre à la peau rougie par le mauvais vin, s'est rendu coupable.

"Ce qui m'intéressait, c'était de voir à quel moment une décision est prise, susceptible de changer le cours de plusieurs vies sur plusieurs générations. A quel moment une personne se lève et quitte la pièce, à quel moment quelqu'un brandit un fusil… Peut-être qu'il y avait chez moi une forme d'urgence, dans cette écriture, à dire: ces choix, il faut les faire", explique l'autrice.

S'ouvrir à l'écoute

L'allusion de Cécile Coulon au fameux "on se lève et on se casse" de Virginie Despentes n'est sans doute pas fortuite. Car dans "La langue des choses cachées", on peut se satisfaire du conte, de ses sortilèges et de ses dynamiques intemporelles. On peut aussi y lire, entre les lignes, une interrogation beaucoup plus intime sur la thématique éminemment actuelle des violences masculines.

Encadré par un prologue et un épilogue, comme les volets apocalyptiques d'un retable d'église, ce bref roman de Cécile Coulon prend à bras le corps, avec une vivacité renouvelée, la mutation en cours dans une société appelée à des choix décisifs pour faire taire cette culture de la violence. Pratiquer "La langue des choses cachées", c'est alors aussi, pour l'artiste, s'ouvrir à l'écoute, se laisser traverser par des voix inouïes et tenter, à sa manière modeste, de "remettre de l'équilibre dans une âme".

Nicolas Julliard/ld

_{Cécile Coulon, "La langue des choses cachées", éditions l'Iconoclaste. Sorti le 11 janvier 2024.}

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