Publié

"Bâtir le ciel", l'élan audacieux du premier roman de Sarah Serre

Sarah Serre. [DR - Eric Pothier]
Entretien avec Sarah Serre, autrice de "Bâtir le ciel", aux éditions Le Mot et le Reste. / QWERTZ / 33 min. / le 24 janvier 2024
Il y a ces hommes et ces femmes qui quittent la ville pour rejoindre l'Île. La plupart ne reviennent pas; que fuient-ils? On dit qu'ils et elles passent leur vie à construire pierre par pierre une cité qui s'élève jusqu'au ciel. "Bâtir le ciel" de Sarah Serre revisite en partie le mythe de la tour de Babel.

La narratrice s'ennuie dans la ville de Salve, où tant l'architecture que la vie qu'on y mène la désenchantent. Son unique échappatoire est l'Île, qui se déploie à l'infini devant ses yeux et à l'ombre de laquelle Salve repose. Désormais, elle nourrit un unique objectif: rejoindre la cohorte qui embarque pour l'Île. Elle a 15 ans, et son obsession croît avec l'âge. A sa majorité, c'est sûr, elle partira, et personne ne l'en empêchera.

"Cette jeune femme, c'est un peu moi, parce que j'ai eu une enfance et une adolescence marquées par l'ennui. J'ai grandi dans une ville banlieue de Paris, qui incarnait l'ennui qui était le mien à la maison. J'avais l'impression que toutes les personnes n'habitaient cette ville que pour aller vers Paris finalement", raconte l'autrice Sarah Serre à la newsletter QWERTZ du 24 janvier.

Ne jamais s'arrêter

Une fois sur l'Île, la narratrice intègre les Bâtisseurs. A son tour, elle construit pour aller plus haut toujours plus haut. Peut-être fera-t-elle partie de la Génération Faîtière, celle qui parviendra à atteindre le ciel? Les raisons de cette quête d'absolu divergent pour chacune et chacun, car au coeur de la cité de pierres, divers courants d'architecture et de pensée se côtoient. Pourtant, le même élan est partagé unanimement: celui de ne jamais s'arrêter, pour parvenir à toucher le sommet, et ce au mépris des corps, abîmés, amputés par le travail incessant de la construction.

Et puis il y a la guilde des sculptrices, à laquelle la narratrice va appartenir après avoir suivi les conseils d'Abigaïl, une ancienne qui l'initie à l'art de l'ornementation. Mais à travailler ainsi dans le ciel et les nuages, à affronter les températures extrêmes, le vent et le vide à longueur de temps, à voir plusieurs se blesser, tomber et disparaître dans les Bas-Fonds, des interrogations surgissent. Une vie à construire pour remplir le vide? Celui aussi de l'existence? Pour atteindre les cieux? Devenir des dieux?

Au milieu de ce conglomérat de grues, de chantiers, de cet imbroglio minéral d'où se distinguent des coupoles, des ponts, des mosquées, des cathédrales et des synagogues, la narratrice commence à douter, à vaciller. Et par-dessus tout, cette question on ne peut plus triviale: d'où vient la pierre? Et est-elle véritablement inépuisable?

Cette pierre blanche dont la beauté m'émerveille encore. Sa couleur naturelle, d'une blancheur tirant sur le jaune, réfléchit extraordinairement bien la couleur du soleil. Il s'en dégage une impression de pureté, de limpidité, notamment quand les rayons la frappent l'après-midi

Extrait de "Bâtir le ciel" de Sarah Serre

Faire naître une autre humanité

En plus de visiter nos manières de faire société, de consommer et de nous consumer, de questionner nos rapports au réel, à l'action, l'inaction, à l'art, la spiritualité et enfin, à nos façons d'habiter et de construire l'espace, "Bâtir le ciel" propose une expérience métaphysique, sensorielle et esthétique.

Dans ce premier roman, Sarah Serre fait interagir les humains avec l'air. Ainsi, un groupe dénommé les Baires a un rapport à la pesanteur inédit: ses membres n'ont jamais touché le sol, et n'en connaissent donc pas la sensation. Ils et elles sont nés sur l'Île au-dessus, dans le Vide, à mille lieues de l'élément terre.

Les jeux de lumière entre la pierre blanche et les rayons du soleil donnent à cette cité un aspect unique qui représente une allégorie de cette quête acharnée de l'absolu par les Ouvriers de l'Île. Un groupe d'illuminés aveuglé, au sens propre comme au figuré, par son obsession du dépassement de la condition humaine.

Avec "Bâtir le ciel", Sarah Serre aspire à insuffler de la poésie et du fabuleux dans nos vies et nos imaginaires. Elle fait sans nul doute partie de ces jeunes autrices et auteurs qui ne se contentent plus de constater la nécessité de raconter et se raconter de nouvelles histoires, mais tentent de construire d'autres narratifs, d'autres mythes, pour faire naître une autre humanité.

Céline O'Clin/ld

Sarah Serre, "Bâtir le ciel", éditions Le Mot et le Reste.

Vous aimez lire? Abonnez-vous à QWERTZ et recevez chaque vendredi cette newsletter consacrée à l'actualité du livre préparée par RTS Culture.

Publié