C'est une maison fruste, adossée à la colline. A l'horizon, le lac Balaton, haut lieu de plaisance des estivants hongrois. Cette demeure, bâtisse vigneronne du XIXe siècle, a une particularité: à moitié enterrée dans une forte pente, ses combles sont accessibles de plain-pied. A l'école, le jeune Akos Verboczy lui dédie une composition: "La maison où le grenier est au rez-de-chaussée". Une trentaine d'années plus tard, le jeune garçon de Budapest est devenu Montréalais, et cette maison hante à nouveau ses écrits. En français cette fois-ci.
Avec "La maison de mon père", premier roman délicat, l'auteur québécois se lance à la recherche de ce logis de vacances, site privilégié de ses échanges avec un père flambeur, disparu dans les vapeurs de l'alcool quelque douze ans auparavant. Le temps d'une semaine automnale, le double romanesque de l'auteur renoue avec la Hongrie de son enfance, quittée à l'âge de onze ans, recherchant auprès de ses amis, de sa famille, les échos des années partagées avec son père absent.
Bien plus que la quête d'une bâtisse
Comme dans les récits d'enfance de Marcel Pagnol, référence assumée de l'auteur, "La maison de mon père" est alors bien plus que la quête fétichiste d'une simple bâtisse. Elle est le symbole de ce monde évanoui, ce paradis perdu charmé par la poésie hongroise, les films et les saveurs d'un temps révolu.
"En hongrois, 'patrie' et 'maison' ont la même étymologie. Quand on dit qu'on revient à la maison, on renoue avec notre patrie. Cette maison, c'est aussi le pays que le père n'a jamais quitté, pas même comme touriste", explique Akos Verboczy, dans le podcast QWERTZ du 30 janvier.
Arpentant les artères d'une Budapest métamorphosée par la mondialisation, où les traditionnels cafés au lait sont désormais, comme partout ailleurs des "latte", où les artefacts de l'ère communiste trônent au Retromuseum, le narrateur embraye sur les souvenirs que suscitent chaque rencontre, chaque coin de rue aimé de loin. L'histoire intime courtise alors la grande Histoire: celle du "goulache-communisme", de la révolution de 1956 et des persécutions des Juifs hongrois dont l’auteur est issu. A un ami d'enfance qui lui demande pourquoi il revient au pays, l'homme répond: "Pour voir si j'y suis encore."
Le verso mélancolique d'une intégration réussie
Etre d'ici ou d'ailleurs, quelle importance? La question, obsédant les discours d'une certaine droite identitaire, emprunte des circonvolutions subtiles sous la plume d'Akos Verboczy. Arrivé au Québec avec sa mère et sa soeur à la fin des années 1980, l'homme raconte son parcours d'immigration dans un premier essai, "Rhapsodie québécoise: itinéraire d'un enfant de la loi 101". Paru en 2016, le texte connaît un joli succès au Canada, faisant de son auteur un exemple d'intégration réussie. Dédié à "Ceux qui restent", "La maison de mon père" explore, par la forme fictionnelle, le verso mélancolique de cette histoire-là.
A chaque pèlerin ses raisons. Celles qui me poussent à revisiter les lieux de ma jeunesse, je me les explique déjà mal, alors celles qui m'entraînent sur les pas de mon père me sont encore plus mystérieuses. Et question encore plus déroutante: faut-il avoir la foi pour entreprendre un pèlerinage?
Car s'il écrit aujourd'hui en français, et de splendide manière, Akos Verboczy le sait bien: "Sur papier aussi, j'ai l’impression d'écrire avec un accent." Confession à double sens, la phrase dit bien la difficulté qui subsiste, quand les mots qu'on couche ne sont pas ceux de la langue maternelle. Elle dit aussi, pour notre plus grand bonheur, la singularité d'une plume portée par l'esprit des écritures de l'Est. Car la nostalgie de l'auteur, irrépressible, se teinte constamment de touches d'humour caustique, désamorçant de manière irrésistible le pathos des saynètes retrouvées.
Nicolas Julliard/ld
Akos Verboczy, "La maison de mon père", ed. Le Bruit du Monde.
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