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Aretha Franklin, une diva de la soul inspirée par le gospel

La chanteuse américaine Aretha Franklin le 13 juin 1969 à Las Vegas (USA). [Keystone]
Aretha Franklin, côté gospel / L'Echo des Pavanes / 24 min. / le 7 septembre 2024
Nouvelle biographie signée Frédéric Adrian, "Aretha Franklin" suit la vie et l’œuvre de la diva et soul sister décédée en 2018. Fille de pasteur, elle avait débuté à l’église et n’avait jamais quitté le gospel.

La date est incertaine, vers 1956-1957. On connaît mieux l’adresse: New Bethel Baptist Church, 4210 Hastings Street, Détroit, Michigan. Dans l’église, quelques centaines de paroissiennes et paroissiens se pressent dans les travées ce dimanche-là pour y découvrir le nouveau prêche du pasteur CL Franklin. Au piano et au chant, il y a sa fille, quinze ans à peine, dont la voix bouleverse l’assistance. Elle s’appelle Aretha Franklin.

Au commencement était le gospel

Dans la nef, Joe Von Battle est venu avec ses micros. Ce disquaire afro-américain est un fidèle voisin. Il publie sur 78 tours les sermons de CL Franklin, lesquels ont une renommée désormais nationale. Sa boutique est modeste, son label de disques JVB lilliputien, mais Joe Von Battle peut compter sur le circuit de distribution d’un collègue plus costaud établi à Chicago: Chess Records, le label de Muddy Waters, Willie Dixon, Chuck Berry et autres Bo Diddley, la quintessence du blues et du rock’n’roll afro-américain.

Le décor est posé, l’incroyable carrière d’Aretha Franklin peut commencer. Dans la salle, on entend des "amen" et des "yes", des cris d’approbation et des répons. Car avant d’être chanteuse de jazz et de variétés pour la Columbia, puis diva soul chez Atlantic Records, Aretha fut d’abord interprète de gospel. Sa voix restera à jamais habitée par l’Esprit saint.

Minutieuse, argumentée, respectueuse tout en étant parfois critique, la nouvelle biographie francophone de Frédéric Adrian, rédacteur au magazine Soul Bag, suit la vie et la carrière d’Aretha Franklin au fil de ses albums et de ses tournées.

Laissons le pan le plus célèbre de sa carrière pour suivre son lien indéfectible avec le gospel, ce creuset des musiques rhythm’n’blues et soul. On y apprend qu’à ses quinze ans, Aretha était déjà maman et que papa Franklin, pasteur renommé, était aussi un entrepreneur à succès, un militant des droits civiques et un fieffé coureur de jupons.

"Sex circus"

Le gospel dans les années 1950 et 1960, ce sont des tournées d’églises en salles de concert dans un Sud qui connaît la ségrégation. Il faut donc renoncer à l’hôtel pour s’entasser chez les paroissiens et côtoyer d’appartement en appartement la crème du gospel de l’époque: les Caravans, les Ward Sisters, les Dixie Hummingbirds, les Highway QC’s du beau Sam Cooke qui aura une brève liaison avec la jeune Aretha… Une proximité qui fera dire à l’organiste Billy Preston, futur accompagnateur des Beatles, que le circuit gospel était alors un "sex circus". Le péché et la rédemption casés dans une même valise de tournée.

Chez la gamine Aretha, tout est déjà là comme en témoigne l’album "Aretha Gospel" publié par Chess dans la foulée de son succès séculier soul: la voix explosive, les envolées extraordinaires et ce sentiment d’être véritablement traversée par les paroles de sa chanson et la ferveur de l’instant présent.

"Amazing Grace", l'incontournable

La star n’abandonnera jamais l’église. A titre privé, il y a les cultes du dimanche. En 1971, Aretha enregistre "Amazing Grace", son double album gospel live à la New Temple Missionary Baptist Church en compagnie du pasteur James Cleveland, un vieil ami de la famille, lui aussi une figure controversée.

Deux journées de culte et de concert à Los Angeles sont organisées devant une assistance paroissiale (où l’on note la présence de deux Rolling Stones, seuls Blancs dans la foule). Ces deux jours sont enregistrés par Atlantic et filmés par Sidney Poitier qu’un ennui de synchronisation va contraindre à ranger ses bobines pendant cinquante ans, avant que les progrès techniques et le décès d’Aretha Franklin en 2018 permettent enfin la diffusion de cette pépite, sans doute son enregistrement le plus poignant. La diva bloquait en effet la réalisation de ce film. La raison est peut-être intime: on y lit sur son visage la confusion de ses sentiments lorsque son père, très clinquant, s’invite à la cérémonie de sa fille.

Il faudra aussi attendre le décès du pasteur CL Franklin, mort des suites d’un cambriolage qui l’avait laissé dans le coma en 1979, pour qu’Aretha Franklin retourne chanter officiellement à la New Bethel Baptist Church de Détroit, là où tout avait commencé pour elle et ses sœurs chanteuses soul Erma et Carolyn.

En 1987 paraît "One Lord, One Faith, One Baptism". Ce double album va déconcerter le grand public et avant tout concerner celles et ceux qui fréquentent les églises afro-américaines. Le disque mélange en effet chansons et prêches, dont celui de Jesse Jackson, fameux pasteur et politicien, suivant ainsi le déroulé d’un culte, mais n’étant guère propice à séduire le grand public profane.

Avec sa biographie d’Aretha Franklin, Frédéric Adrian vous donne immédiatement l’envie de vous replonger dans l’œuvre de la diva soul emblématique, que le gospel n'a jamais quittée.

Thierry Sartoretti/sf

Frédéric Adrian, "Aretha Franklin", éditions Le Mot et le Reste, août 2024.

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