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Avec "Archipels", Hélène Gaudy offre le portrait d'un père en fragments de mémoire

Hélène Gaudy, autrice d'"Archipels" [Patrice Normand]
Entretien avec Hélène Gaudy, autrice de "Archipels". / QWERTZ / 34 min. / le 30 octobre 2024
"Archipels", le roman-enquête d'Hélène Gaudy, nous entraîne sur les rives de l'Isle de Jean-Charles en Louisiane. Le récit, largement autobiographique, se poursuit tandis que l'île disparait, faisant ressurgir l'enfance et la mémoire du père de la narratrice, appelé lui aussi Jean-Charles.

Dans "Archipels", Hélène Gaudy brosse le portrait de son père, depuis l'enfance jusqu'à aujourd'hui. A travers les mots, elle révèle un homme silencieux et fantaisiste, à la fois artiste peintre et écrivain poète, qui lui a toujours affirmé n'avoir gardé aucun souvenir de son enfance.

Pour ce projet d'écriture, ce père lui confie généreusement les clefs de son atelier d'artiste, les journaux intimes qu'il rédige entre 16 et 22 ans, ainsi que la correspondance qu'il a entretenue avec sa future épouse. Munie de ce matériel intime et précieux, Hélène Gaudy se lance dans un inventaire romancé de son père.

"Archipels" figure dans la sélection finale du prix Goncourt, aux côtés des romans de Sandrine Collette, Kamel Daoud et Gaël Faye. "C'est une grande joie, confie l'autrice au podcast QWERTZ du 30 octobre. Cela fait vingt ans que j'écris des livres, c’est vraiment une joie de voir que celui-là est lu et remarqué, et rien que ça, sans penser à la suite, c'est très agréable". Le lauréat ou la lauréate du célèbre Prix Goncourt sera révélé lundi 4 novembre.

L'Isle de Jean-Charles

Tout au début, le sujet d'"Archipels" devait être un focus sur l'Isle de Jean-Charles. Car Hélène Gaudy est complètement happée par l'histoire et la configuration géographique de cette localité.

Elle découvre qu'il s'agit sans doute de la première île d'Amérique qui disparaîtra du fait du réchauffement climatique. Puis qu'elle est peuplée d'Indiens francophones, dont la culture et les coutumes l'intéressent particulièrement. Elle réalise ensuite qu'il existe déjà un livre sur l'île de Jean-Charles, rédigé par l'écrivain et poète Frank Smith. "Donc ça m'a amené à repenser mon projet et à me rendre compte que finalement, cette coïncidence géographique avec le prénom de mon père me ramenait très directement à une forme d'urgence de le connaître autrement. Maintenant, tant que c'est encore possible, tant qu'il est là pour m'accompagner", confie-t-elle.

Le père de la narratrice acquiert son atelier,en plein cœur de Paris, en 1988. Aujourd'hui, c'est une véritable mine d'or pour débusquer ses secrets. Pendant plus de vingt ans, ce lieu est une deuxième maison pour lui. Les coulisses, l'arrière-pays des paroles qu'il n'exprime pas.

En accumulant des centaines d'objets trouvés dans la rue, comme des lampes halogènes, des bibelots, des boîtes, des statuettes achetées en voyage et des livres, il devient un grand collectionneur. "Cette volonté de garder les choses, sans rien jeter, est une manière de ne pas les dire", affirme encore l'autrice.

Il avançait sous couverture. Et moi qui ne l'ai pas vu vieillir, qui ne l'ai pas vu changer, qui ne l'ai jamais vu, sans doute, comme il était, voilà que je le découvre, si tard, sous la forme d'un lieu. 

Extrait d'"Archipels", d'Hélène Gaudy

La maison de Muzainville

Durant son processus d'écriture, Hélène Gaudy met la main sur deux sources d'archives d'une grande richesse: "La boîte noire" et "La valise de la Résistance" appartenant toutes deux à son grand-père paternel. Elle découvre un homme, chef de réseau de la Résistance, qui durant la Seconde Guerre mondiale, permet à quarante-deux prisonniers politiques et militants communistes de s'évader d'un camp de détention durant la nuit du 5 mai 1944. Cet évènement spectaculaire a d'ailleurs inspiré le film "La grande évasion" réalisé par John Sturges et sorti en 1963.

Cette guerre hante l'héritage familial. Alors que le père d'Hélène Gaudy est encore enfant, ses parents le forcent à apprendre le morse en vue du prochain conflit.

De peur d'être arrêtés, les grands-parents de la narratrice inventent un nom de village, une localité imaginaire, qui n'apparaît sur aucune carte géographique: "Muzainville". Et lorsque Jean-Charles, enfant, est interrogé sur son domicile, il donne le nom de ce village inventé.

Sa voix traîne, elle trébuche, s'échappe dans les aigus à la fin des phrases, puis revient dans son lit, rivière, obstacle, rocaille.

Extrait d’"Archipels", d'Hélène Gaudy

La voix du père d’Hélène Gaudy, sinueuse, multiple et silencieuse est le témoin de cette enfance vécue dans la clandestinité, comme une manifestation de la persistance du secret.

Layla Shlonsky/sf

Hélène Gaudy, "Archipels", Editions de l’Olivier, août 2024.

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