Il y a deux ans, la jeune Kurde iranienne Mahsa Amini avait été arrêtée en pleine rue à Téhéran pour un voile mal ajusté. Sa mort, sous les coups de la police des mœurs, avait déclenché en septembre 2022 un vaste mouvement de contestation.
"Qu'est-ce qui fait que toutes ces Iraniennes ont fait ce choix très courageux et risqué de retirer leur voile face aux balles des miliciens?", s’est demandé Delphine Minoui. "Comment ces femmes, pour la plupart des jeunes adolescentes, l’ont vécu de l’intérieur?".
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"Mauvaise graine"
Dans ce nouveau roman, la journaliste livre en réponse le récit intime de l’une d’entre elles, Badjens. Et pour la reporter qui a vécu dix ans à Téhéran, le surnom donné à son héroïne de 16 ans ne doit rien au hasard. "Il signifie mauvais genre, autrement dit, le sexe faible, le sexe raté aux yeux des ayatollahs", explique-t-elle.
Cette génération envoie tout balader: elle veut faire tomber le foulard, comme elle veut faire tomber le régime
"Les filles se traitent entre elles de Badjens. C’est une façon de se traiter de culottée, de mauvaise graine. Et c’est tout ce qui transparait dans cette génération", poursuit la journaliste. "A l’inverse de celle des leurs parents, beaucoup plus dans la négociation avec le pouvoir, elle envoie tout balader: elle veut faire tomber le foulard, comme elle veut faire tomber le régime".
Le récit débute par une scène où Badjens fait face à la foule. Elle est juchée sur une benne à ordures et prête à brûler son foulard. C’est l’automne 2022. On est à Chiraz, une ville du sud-ouest de l'Iran, au cœur de la révolte "Femmes, vie, liberté".
Le ras-le-bol d’une génération
L’auteure construit son récit sur une série de flash-backs qui défilent dans l’esprit de Badjens. À travers son monologue intérieur, c’est tout le ras-le-bol d’une génération qui s’exprime depuis la mort de Mahsa Amini, face à la répression que lui fait subir le régime des Mollahs, qui impose aux femmes le port obligatoire du foulard depuis l'avènement de la République islamique, en 1979.
Car cette nouvelle génération iranienne à laquelle appartient Badjens est celle qui porte le mouvement "Femmes, vie, liberté". C’est la génération Z, explique la journaliste, celle des moins de 25 ans, la génération des petites-filles de la révolution de 1979.
C’est aussi, précise-t-elle, une génération qui depuis sa tendre enfance vit dans la schizophrénie entre la propagande du régime, "biberonnée au culte du martyre et au patriarcat d’Etat" et cette autoroute de l’information différente: "C’est une génération connectée en permanence sur TikTok, Instagram et des chaînes Telegram, malgré la censure du régime. Ils ne sont plus dupes de cette propagande".
Le régime a tenté par tous les moyens d’étouffer la contestation par la violence, mais la résistance subsiste
Rien d’étonnant si les jeunes femmes de cette génération irrévérencieuse et jusqu’au-boutiste soient devenues pour la première fois les leaders de la contestation. Tout comme Badjens, qui va peu à peu s’affranchir des injonctions de son père et du régime des Mollahs.
"Recoudre les destins brisés"
Depuis la mort de Mahsa Amini le 16 septembre 2022, le régime tient par la répression. Il a durci la loi et assimile désormais le non-respect du port obligatoire du hijab à de la "nudité". Celles qui refusent de s’y soumettre encourent de 6 mois à 3 ans de prison.
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"Le régime a tenté par tous les moyens d’étouffer la contestation par la violence, mais la résistance subsiste. Ce livre, c’est aussi une façon de recoudre les destins brisés de toutes ces Badjens qui sont mortes et de celles qui vivent toujours en Iran, mais qui ne peuvent pas raconter leur histoire à cause de la censure", conclut Delphine Minoui.
Carole Pirker
"Badjens", éd. du Seuil, août 2024, 152 p.