Avec "De mes nouvelles", Colombe Boncenne cartographie l'imaginaire
Elle a de la suite dans les idées, et cette suite la passionne. Colombe Boncenne compose ses livres comme on agence un puzzle, dans un jeu de formes qui se ressemblent et s’assemblent. “De mes nouvelles”, son cinquième livre, se présente en apparence comme un recueil de nouvelles. Mais les apparences sont trompeuses: au fil de la lecture, on sent s'activer, en sous-sol, un mycélium de motifs et de thèmes qui relient de façon complexe ces quatorze récits brefs.
Il y a la voix, tout d'abord, qui passe allègrement de la première à la troisième personne. Cette voix, c'est celle d'une narratrice, double de papier de l'écrivaine parisienne, qui s'interroge sur la fabrique de ses histoires et l'influence qu'exerce la fiction, cinéma et littérature, sur sa vie propre. Jamais nommée, cette femme qui écrit vit avec Samuel, se déplace à vélo, fréquente les vernissages et suit une psychanalyse.
Je me demande ce qu'il en est du livre que j'écris: est-ce une carte que je dessine, un plan que j'établis? Mais une carte de quoi? Un plan destiné à qui?
Le récit de notre propre vie
Attentive aux signes, aux effets de miroir et aux rouages de l'inconscient, la narratrice interroge, à travers de petites scènes du quotidien, les processus par lesquels le réel et l'imaginaire s'emboîtent, à la manière des poupées russes ou des valises enchâssées qu'on découvre sur la couverture du livre.
Quelles choses vues méritent d'être racontées? Quelles fictions traversent notre esprit lorsqu'on est à vélo, qu'on cuve son ivresse ou se brosse les dents? A travers ces tranches de vie au potentiel romanesque malingre, Colombe Boncenne dresse la cartographie des trajectoires qu'emprunte notre esprit pour inscrire les situations les plus hasardeuses dans une logique absolue et pour recomposer, in fine, le récit de notre propre vie. Esprit d'escalier, es-tu là?
Ce qui m'intéressait, c'était d’essayer de reconstituer les connexions neuronales qui travaillent dans les associations d'idées. Je voulais remonter ces fils-là, rembobiner la pelote. Essayer de retrouver l'origine des histoires.
Intime et subjective, cette exploration n'a pourtant rien d'un ego-trip narcissique. Car ce "jeu sérieux" est d'abord un jeu qu'on joue à plusieurs. Possible autoportrait d'une autrice au travail, "De mes nouvelles" met en scène les interactions sociales qui font naître ces interrogations. Amies occasionnelles, complices de toujours ou fantômes familiers, toute une constellation de personnages gravite autour de la narratrice, tissant un autre réseau de liens essentiels à la création littéraire. "Tu devrais écrire sur l'amitié", suggère le frère de la narratrice. Dont acte.
Nicolas Julliard/aq
Colombe Boncenne, "De mes nouvelles", ed. Zoé, mars 2024
L'auteure sera présente au Salon du livre de Genève les 8 et 10 mars 2024.
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