Avec "Fort Alamo", le maître de l’absurde Fabrice Caro signe un roman plus mélancolique
Un narrateur sans histoires soudain plongé dans le chaos, c’est devenu la marque de fabrique de Fabrice Caro, romancier qui signe aussi des bandes dessinées sous le pseudo de Fabcaro. Ainsi dans "Le discours", adapté depuis au cinéma, où un anti-héros maladivement timide était sommé par sa famille de prendre la parole en public lors du mariage de sa sœur. Ces situations qui pourraient paraître angoissantes, l’auteur les transforme en un enchaînement de conséquences cocasses, développant au fil de ses textes un sens de l’absurde particulièrement affûté.
Le meilleur exemple en est sans doute "Zaï zaï zaï zaï", BD désormais cultissime, devenue un film et une pièce de théâtre jouée maintes fois à travers tout le territoire. Un personnage s’apercevait à la caisse du supermarché qu’il avait oublié chez lui sa carte de fidélité, et ce petit faux-pas a priori sans importance dans un quotidien banal allait l’entraîner dans une cascade de scènes de plus en plus loufoques.
Un anti-héros du quotidien
Une caisse de supermarché, c’est aussi le point de départ de "Fort Alamo", le nouveau roman de Fabrice Caro. Cyril, son narrateur, est prof au lycée, quarantenaire provincial sans histoire, en couple et père de deux enfants. Il s’apprête à régler quelques achats avant de rentrer chez lui quand un individu lui pique sa place dans la file, avant de s’effondrer quelques pas plus loin, foudroyé par un AVC. Parce que la scène se répète plusieurs fois dans la semaine, avec la proviseure qu’il déteste ou l’insupportable chien des voisins, Cyril s’interroge: aurait-il le super-pouvoir d’abattre malgré lui tous ceux qui l’insupportent?
Après un temps interminable, la longue file sur le tapis roulant s'est clôturée par une boîte de haricots rouges - Et en plus, il aime les haricots rouges, voilà ce qui m'a traversé. Quand il a eu terminé de ranger ses courses dans ses sacs, alors que je le fixais dans l'espoir d'un signe, sinon d'excuses, au moins d'empathie, il a payé, sans même un regard vers moi, et s'est éloigné de la caisse en poussant mollement son caddie. Quelques mètres plus loin, il s'est effondré sur le sol.
Personnages archétypaux
L’humour de Fabrice Caro tient dans cet enchaînement chaotique de faits anodins, mais aussi à sa capacité à observer. Son livre est une galerie de portraits hilarants, une étude quasi sociologique de la classe moyenne française, avec des personnages archétypaux - la belle-sœur pénible, le collègue lourdaud, le voisin naïf, campés avec beaucoup d’humour mais sans méchanceté inutile.
Une autre lecture peut être proposée de ces scènes absurdes où le personnage tente de se tenir à distance des injonctions familiales et professionnelles qui l’accablent. Fabrice Caro écrit, comme dans ses textes précédents, sur un homme qui ne veut rien des rôles que ses proches tiennent à lui faire endosser.
Au-delà de l’humour, une poignante mélancolie plane sur ce texte. Car la mère du narrateur vient de disparaître, et il doit s’occuper de débarrasser sa maison. Mais vider sa chambre d’enfant est au-dessus de ses forces.
Chaque roman est un journal intime. Je raconte ce qui m’arrive dans la vie au moment où j’écris. La part autobiographique de ce livre, c’est cette histoire de chambre d’enfant à vider. Je ne souhaite cela à personne.
Aussi, ce livre n’est pas seulement un condensé d’humour et c’est sans doute ce qui différencie Fabrice Caro romancier du Fabcaro bédéaste. Les pages où Cyril parle en secret à sa mère, et son désespoir lorsqu’il doit retourner dans la maison familiale, sont particulièrement émouvants. "J’ai un lien maladif à l’enfance. Je n’arrive pas à en sortir, c’est fou", reconnaît Fabrice Caro dans le podcast QWERTZ du 8 octobre.
Sylvie Tanette/ms
Fabrice Caro, "Fort Alamo", éd. Gallimard, collection Sygne, octobre 2024.
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