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Avec "Le nom sur le mur", le prix Goncourt Hervé Le Tellier prend le maquis 

L'écrivain français Hervé Le Tellier le 30 novembre 2020 à Paris. [AFP - Thomas SAMSON]
Entretien avec Hervé Le Tellier, auteur de "Le nom sur le mur" / QWERTZ / 37 min. / le 19 juin 2024
Prix Goncourt 2020 pour "L'anomalie", président de L'Oulipo, Hervé Le Tellier est de retour avec "Le nom sur le mur". Une enquête littéraire, riche en digressions savoureuses, retraçant la vie brève et passionnée d'un résistant du maquis drômois tombé à l'âge de vingt ans sous les balles des nazis.

D'abord, il ne lui a pas prêté attention. Juste un nom sur le mur. Mais un jour, face au monument aux morts de Montjoux, commune drômoise où il vient d'acquérir une "maison natale", Hervé Le Tellier le revoit, ce nom qu'un quidam a gravé sur sa façade: André Chaix, mort pour la France, et ces dates: mai 1924 - août 1944. "Le nom sur le mur" est donc celui d'un résistant, maquisard tombé à vingt ans sous les tirs d'une auto-mitrailleuse allemande.

A l'instar d'un Philippe Jaenada, d'un Grégoire Bouillier, Hervé Le Tellier entame alors une enquête littéraire sur les traces d'André Chaix. L'investigation, à vrai dire, tient de la sinécure: très vite, l'auteur entre en possession d'une boîte, puis d'une enveloppe regroupant l'essentiel des documents et photographies ayant appartenu au jeune homme et à ses proches.

Une fiction pour dire le vrai

"J'ai vite su que j'aimerais raconter André Chaix. Sans doute, toutes les vies sont romanesques. Certaines plus que d'autres", constate le romancier dans l'élan de son Prix Goncourt, remporté en 2020 pour le best-seller "L'anomalie". Pourtant, pas question pour lui de romancer la vie de ce héros local: la fiction, ici, travaille au plus plausible, quand il s'agit de combler les vides d'une existence recomposée.

Pardonnez-moi par avance s'il m'échappe une phrase trop grosse, une tournure indécente, affectée, une métaphore s'échouant dans le lyrisme ou la grandiloquence. J'ai essayé de ne pas, même si j'ai parfois eu envie de.

Extrait de "Le nom sur le mur" d'Hervé Le Tellier

Président de L'Oulipo (Ouvroir de littérature potentielle), grand mystificateur littéraire, Hervé Le Tellier tient donc la bride de son esprit joueur. Tout juste prend-il la liberté de proposer, çà et là, de petits jeux de pistes à son lectorat complice. L'enjeu littéraire est ailleurs: comment rendre compte, sans effets de manche, de ce que les photographies, les mots d'amour envoyés à sa fiancée Simone, nous apprennent de cette vie brève et passionnée? Hervé Le Tellier opte pour l'écriture buissonnière. A partir de ces reliques païennes, l'auteur pratique un art de la digression qui nous ouvre les portes d'une époque si lointaine, si proche.

Les documents qu'on m'a transmis faisaient de moi l'obligé d'André Chaix, d'une certaine manière. J'ai décidé d'écrire son histoire, car j'avais largement assez pour ne pas faire une fiction. Cela donnait un livre relativement bref, et j'aimais cette brièveté qui répondait à celle de sa vie.

Hervé Le Tellier, auteur de "Le nom sur le mur"

André pose sous un panneau indiquant la direction de Dieulefit? Suivant cette indication, Hervé Le Tellier nous invite à retracer l'aventure de cette commune modèle, havre de paix pour les Juifs, les réfugiés politiques et les artistes de tout poil, bastion intellectuel de la France occupée dans lequel un certain Henri-Pierre Roché, dandy collectionneur d'art et de femmes écrit le premier jet de l'autobiographique "Jules et Jim', popularisé par le film de Truffaut.

Musique et cinéma

Là vit aussi François Soubeyran, jeune maquisard et ami probable d'André, qui monte à Paris après la guerre pour former le quatuor vocal Les Frères Jacques. Dans l'imaginaire culturel que recompose Hervé Le Tellier, les disques d'Edith Piaf, de Jean Sablon ou de Trenet tournent en boucle sur les gramophones de la région. Dieulefit possède aussi un cinéma, l'Eden, dont l'auteur déniche le programme des années 1940. S'en suit une déclaration d'amour au cinéma français de l'époque, le romancier envisageant qu'André et Simone aient pu s'embrasser devant "L'assassin habite au 21" de Clouzot ou "Les visiteurs du soir" de Carné.

Il y a donc le contexte, magnifiquement ravivé. Il y a surtout la question, centrale, de l'engagement, de la liberté et de la résistance face à l'oppression. En retraçant l'ascension éclair des nazis, en convoquant différentes expériences de psychologie des foules, l'auteur rappelle combien il est facile de tomber du côté où le monde penche. Et combien la tragédie individuelle d'André Chaix nous confronte à nos propres courages et lâchetés. A l'heure où l'extrême-droite rejoue partout sa partition raciste et autoritaire, Hervé Le Tellier prescrit: "S'en souvenir: les fascismes marchent plus vite que n'importe quelle démocratie." La vie volée qu'enlumine ce roman puissant n'est pas celle d'un saint. Juste d'un homme qui a su dire "non". Le "non" sur le mur.

Nicolas Julliard/ld

Hervé Le Tellier, "Le nom sur le mur", ed. Gallimard. Paru en avril 2024.

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