L'une a fui, l’autre pas. Entre la sœur des villes et la sœur des champs, un monde de non-dits et de violence. La mère meurt, et ces deux âmes que les circonstances ont aliénées vont tenter d'impossibles retrouvailles.
Avec "Combler la faille", son troisième roman, Olivier Pitteloud explore les non-dits d'une famille désunie, heurtée de plein fouet par les transformations du monde industriel. Le décor: un petit village à flanc de montagne qu'on devine appartenir, sans qu'il ne le situe précisément, au Valais de ses origines.
J'ai toujours été frappé dans mon enfance, dans mon adolescence, par le fait que, dans un petit village, on soit sous le regard de tout le monde. La contrainte est très forte et souvent, les choses essentielles ne sont pas dites.
La disparition d'un monde
Dans un univers qui emprunte parfois au conte ses personnages fantastiques, le romancier met en scène la disparition d'un monde de traditions et d'artisanats, et la violence que cette désaffection engendre. Le père, charpentier, s'étiole et s'éteint. La mère, sèche et brutale, tient d'une main de fer la fille cadette, restée au village.
L'aînée, elle, a choisi la fuite. A 18 ans, Aline (prénom ramuzien) a mis plusieurs centaines de kilomètres entre elle et les siens. Dans une grande ville, elle anime des émissions de radio consacrées aux questions écologiques. C'est elle qu'on découvre en ouverture de roman, perturbée dans son direct par l'irruption d'un message de sa sœur lui annonçant la mort de la mère. A contre-cœur, elle se résout à remonter le fil du fleuve pour rejoindre sa cadette, en piteux état, et découvrir quelques secrets propres à sa région d'origine.
Elle regarde le téléphone où la voix vient de dire: la mère est morte, voix sèche et dure, elle regarde l'écran redevenu noir et lisse, comme si rien n'avait été dit mais les mots ont été dits, qui viennent de là-bas, du village où elle ne va plus parce qu'elle n'a plus supporté (...)
Dans les pensées des personnages
A la lisière du roman noir, "Combler la faille" nous conduit par petites touches au cœur de ce drame familial. Par un jeu de points de vue très subtil, Olivier Pitteloud nous invite à entrer tour à tour dans le flux de pensées d'une sœur, de l'autre, des parents et des témoins du village, à la façon d'une caméra subjective tenue par différents protagonistes.
Surtout, il y a ce style, cette musique si singulière, faite de très longues phrases qui nous happent, nous tiennent en haleine et suggèrent de manière virtuose la simultanéité de l'action, du souvenir et des sentiments. Le délire, la logorrhée qu'induit la folie n'est jamais loin dans cette langue vertigineuse, idéale pour suggérer l'apnée émotionnelle dans laquelle s'ébattent les personnages de ce théâtre cathartique.
Nicolas Julliard/mh
Olivier Pitteloud, "Combler la faille", ed. Bernard Campiche, mars 2024.
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