Dans "Coupez!", Laure Desmazières dissèque la précarité du métier de scénariste

Manon travaille pour l'industrie du rêve, mais vit un cauchemar. Scénariste bien installée dans la précarité, elle est appelée en urgence sur le tournage d'un film qu'elle a écrit. Un investisseur a revu son financement à la baisse. La production n'a plus les moyens de tourner toutes les scènes prévues. Mais parce que ce scénario est le premier pour elle qui va se concrétiser en un film, elle se met immédiatement en route pour voler au secours de la production. Et tant pis si ce travail n'est pas rémunéré.

Je me demande si c'est 'coupure' l'horrible mot qui m'amène à faire des comparaisons entre le cinéma et une batterie de cuisine. Ou si simplement j'aimerais occire celui qui me demande un travail considérable non rémunéré le temps d'un week-end.

Manon va vivre 72 heures intenses en émotion. D'abord abasourdie, pressée par un assistant-réalisateur irrespectueux envers son travail, rassurée néanmoins par le réalisateur qui croit en elle, Manon se révèle incapable de noircir la moindre ligne malgré sa promesse. Pourtant le temps presse. Rien n'est plus coûteux qu'un tournage à l'arrêt. Et puis, avec cette réécriture, l'actrice vedette pourrait faire valoir son droit à quitter le projet. La scénariste doit la rassurer, rassurer la production, se rassurer aussi.

Couteau suisse

Manon gère la pression tout en se concentrant pour créer cette ellipse artificielle. Mais couper des scènes centrales sans compromettre la continuité du récit qui se déroule en temps réel semble au-dessus de ses forces. Elle est aussi tourmentée par son salaire que la production rechigne à lui verser, par une master class qu'elle doit préparer et par une de ses élèves qui sèche sur son script de héron qui se prend pour une libellule. En prime, elle ressent un furieux désir de fouler le sol des atroces "Terre Froides", comme elle les a baptisées, la ramenant à un moment difficile de son existence. Rien ne va plus pour Manon.

Je dis souvent à ma mère: 'on est des couteaux suisses'. Pas les couteaux de cuisine de luxe aimantés aux murs des cuisines des stars hollywoodiennes. Des micro-couteaux-suisses, plantés dans la terre pendant un bivouac près du réchaud, rouillés, dégueulasses. Des opinels même. On est des opinels.

Avec ce premier roman, Laure Desmazières s'inspire de son expérience de scénariste pour décrire magistralement, parfois avec humour, souvent avec noirceur, leur précarité. Mais "Coupez!" ne se limite pas à ce constat. Le récit avance masqué pour mieux dévoiler la renaissance de Manon, une femme qui affronte avec force et courage une autre ellipse de sa vie. Au bout de ce week-end chaotique, Manon ne sera plus la même Manon. Son véritable salaire est sans doute celui-ci.

Philippe Congiusti/SF

Laure Desmazières, "Coupez!", Quidam Editions, août 2024.

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