En 2020, ses études terminées, Alix quitte Liège pour s'installer à Bruxelles avec Lucas. Des perspectives professionnelles floues et des crises d'angoisse auxquelles s'ajoute le décès de sa grand-mère rendent cette transition difficile. Mais la jeune femme fait face. Jusqu'au jour où elle réalise qu'à chaque rapport avec son partenaire, elle a mal.
Le diagnostic tombe: Alix souffre de vaginisme, un trouble sexuel qui empêche toute pénétration. S'il est possible de soigner les douleurs, guérir de cette pathologie est une autre histoire, qui suppose de traquer l'autocensure, partir à la chasse aux injonctions sociales liées au désir et se lancer dans une véritable quête de soi.
Il a fallu questionner mon rapport à la sexualité, au corps, qu'est-ce qu'on fait quand on est en couple et que le désir s'en va. C'est un peu le récit de tous ces questionnements qui ont été les miens pendant deux ans
Être vide à l'intérieur
Alors que plus aucune sensation ne semble éveiller ses sens, un fossé de silence s'installe entre Alix et Lucas. Chaque rapprochement devient redouté, chaque refus renforce la culpabilité et le tabou grandit. Après avoir écumé les thérapeutes, certaines inutiles, d'autres salvatrices (tout ça coûte un argent fou!), la bédéaste comprend que le trouble prend sa source dans la tête, et qu'il va falloir écouter le corps, le faire vivre.
Dès l'enfance, mon corps était l'incarnation de ma vulnérabilité. Ce corps ne me rendait pas plus forte; il me rendait proie. Déjà petite fille, je savais ça. Si "être corps", c'est "être au monde", alors j'aurais voulu n'être rien
L'occasion de "lâcher prise" se présente entre autres sous la forme d'une libération physique et des sens, notamment par la danse lors de soirées et la prise de substances psychotropes. "Je me suis longtemps demandé si c'était une bonne idée d'évoquer la drogue dans mon récit", confie Alix Garin dans le podcast QWERTZ du 10 octobre, avant d'admettre qu'elle n'a pas souhaité faire de concessions: "Car dans la vraie vie, c'est une étape qui - même si je ne la recommande à personne parce qu'elle n'est pas indispensable - m'a beaucoup aidée".
Une autre expérience du corps qui se traduit également dans les traits et le dessin de l'autrice. Si la peur et le doute sont représentés dans des couleurs foncées, les moments de libération parsèment son corps d'une nuée de couleurs.
Une histoire d'amour
Un dessin souple parfois proche du manga, des traits qui se courbent et s'allongent au rythme du plaisir qui croît, des lignes claires qui s'estompent pour laisser vivre un style à l'aérographe. Dans "Impénétrable", on peut saluer le travail de scénarisation d'un récit où les variations de style permettent des ellipses narratives et les camaïeux de couleur se mettent au service des émotions de la narratrice.
Après "Ne m'oublie pas" (ed. Le Lombard, 2021), qui évoquait la maladie d'Alzheimer de sa grand-mère, Alix Garin ose, dans un courage rare, l'autobiographique stricte. Elle nous rappelle la différence entre désir et plaisir et déconstruit cette paroi prétendument imperméable entre amour et amitié. "Au fond ce récit n'est pas une histoire de sexe", conclut le roman graphique, "c'est une histoire d'amour".
Ellen Ichters/ld
Alix Garin, "Impénétrable", éditions Le Lombard, septembre 2024.
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