Publié

Dans "Vivarium", Tanguy Viel dissèque sa créature favorite, la littérature 

L'écrivain français Tanguy Viel. [Editions de Minuit - Mathieu Zazzo]
Entretien avec Tanguy Viel, auteur de "Vivarium" / QWERTZ / 32 min. / le 5 juin 2024
Scénariste, auteur de romans noirs à succès, Tanguy Viel explore dans son nouvel essai la manière dont le réel et le vivant exigent de l'écrivain une juste restitution dans le "vivarium" d'un livre. Dans ce va-et-vient permanent, l'auteur a le don de métamorphoser une sensation en un paragraphe symphonique. 

Dans le dictionnaire Larousse, un vivarium est un "espace vitré aménagé pour conserver et montrer de petits animaux vivants (insectes, reptiles, etc.) en reconstituant leur milieu naturel". Dans "Vivarium", paru aux éditions de Minuit, Tanguy Viel fait à son tour du livre un espace privilégié pour observer ce qui l'anime depuis plus de trente ans: l'écriture, de la naissance d'une idée à son éclosion dans la phrase, de l'intuition d'un personnage à sa rencontre avec le lecteur.

Connu pour ses succès romanesques - "L'absolue perfection du crime" (2001), "Paris-Brest" (2009), "La fille qu'on appelle" (2021) – une dizaine d'ouvrages traversés par des questions existentielles et politiques comme l'aliénation des êtres et les mécanismes de pouvoir à l'œuvre dans la société, Tanguy Viel est désormais l'auteur d'une œuvre plus théorique sur la littérature.

En 2019, dans "Icebergs", un essai plein d'affinités personnelles, l'auteur loirétain révélait déjà une partie de ses réflexions sous la forme d'une déambulation intellectuelle. D'un chapitre à l'autre, il nous promenait dans l'archipel de ses lectures, convoquant tour à tour Julien Gracq, le collectionneur Aby Warburg, l'incontournable Virginia Woolf ou Montaigne.

Des spécimens littéraires

On retrouve la trace de certains spécimens dans "Vivarium", comme Julien Gracq ou encore le psychanalyste autrichien Sigmund Freud, selon qui la fiction est "un lieu où il ne peut rien arriver". A leurs côtés, de nouveaux phénomènes rejoignent les éprouvettes de l'auteur: de Robert Walser à Dickens, de Sénèque à Philippe Jaccottet, Tanguy Viel écrit dans le sillage des auteurs qui peuplent sa bibliothèque.

Dans "Vivarium", il se met en scène, dialoguant avec eux depuis son bureau de travail ou son cabinet de lecture, s'inscrivant ainsi dans une tradition d'artistes questionnant leur medium pour mieux lui rendre hommage.

Atteint l'âge de dix-huit ans, je me souviens que la découverte de la littérature et, plus encore, le saut fait en elle, fut d'abord le rêve d'un territoire ardemment séparé du monde et qui, en me coupant de lui, m'en protégeait.

Extrait de "Vivarium" de Tanguy Viel

Plus tard, il précise: "Mais quand même: j'écris aussi, et surtout, pour adhérer au monde". 

Appréhender le monde par les mots

Ce monde, l'auteur l'appréhende à la loupe du langage. "Par quoi donc survient la phrase?", s'interroge Tanguy Viel en scrutant son environnement. La phrase naît de la sensation, nous répond "Vivarium". Du choc que provoque la vision d'un rayon de soleil se projetant sur la façade d'un supermarché, de la musique d'une volée de cloches sonnées depuis la cathédrale voisine, de l'élégance des pierres du château de Chambord ou de la vulgarité des enseignes d'une fête foraine.

Les paysages qui nous entourent finissent par construire le circuit des métaphores qu'on peut utiliser pour habiter le monde et la pensée.

Tanguy Viel, auteur de "Vivarium"

Puisant dans les ressources de sa grande érudition et distillant au fil des pages des citations précieuses (comme celle-ci, empruntée à Saint Augustin: "Les hommes vont admirer la hauteur des montagnes, les vastes flots des mers, les larges cours des fleuves, l'étendue des océans et le périple des étoiles, et ils se négligent eux-mêmes"), Tanguy Viel sait aussi faire preuve d'un certain pragmatisme théorique, se demandant si le meilleur allié de l'écrivain n'est pas le couteau à huîtres, étudiant le développement des axolotls (petits amphibiens), le mouvement des plantes ou la réflexion d'un rayon de soleil sur la vitre grasse d'un train pour tenter de cerner les grandeurs et les apories de la création littéraire.

Salomé Kiner/sc

Tanguy Viel, "Vivarium", ed. de Minuit, mars 2024.

Vous aimez lire? Abonnez-vous à QWERTZ et recevez chaque vendredi cette newsletter consacrée à l'actualité du livre préparée par RTS Culture.

Publié