"Ilaria" de Gabriella Zalapì, une cavale bouleversante sur les routes italiennes

L'écrivaine Gabriella Zalapì. [Editions Zoé - Roman Lusser]
Entretien avec Gabriella Zalapi, autrice de "Ilaria" / QWERTZ / 27 min. / le 3 septembre 2024
Gabriella Zalapì s’est inspirée de sa propre histoire pour raconter, à hauteur de petite fille, l'enlèvement d'Ilaria, huit ans, par son père et la cavale de deux ans à travers l’Italie des années 1980 qui s'ensuit. "Ilaria ou la conquête de la désobéissance" est un roman qui remue au plus profond.

Quand son père vient la chercher à la sortie de l’école, Ilaria a la tête en bas, elle fait un cochon pendu sur la barre métallique qui sépare la cour du parking. C’est avec sa sœur Ana qu’elle a rendez-vous. Pourtant le programme a changé, Ilaria n’a pas de raison de se méfier de ce que lui énonce son père.

Mais lorsque la voiture ne prend pas la direction prévue et traverse la frontière, Ilaria devient une éponge. Tel un radar, elle scanne et mémorise les attitudes de son père, des détails qui ne lui semblent pas anodins, ses multiples arrêts pour téléphoner, sa nervosité ou encore la moiteur de sa main qui ne le quittera plus.

Au gré de l'errance de son père

Ce qui aurait dû ne représenter que quelques heures, un long week-end tout au plus, s’étend et s’étire. Ilaria ne retourne pas à Genève, son père ne la ramène pas auprès de sa sœur et de sa mère. Après Turin, il y aura Brescia, Alessandria, San Benedetto, Cantagallo, Livourne, Rome, Palerme et les continuels changements d’itinéraires.

C’est le début d’une cavale qui ne dit pas son nom, de stations-service en chambres d’hôtel, rythmée par les télégrammes et les coups de fil récurrents, ainsi que les demandes incessantes de la petite fille espérant pouvoir parler à sa mère et qui pour toute réponse obtient un sempiternel "la prochaine fois".

Mais la prochaine fois n’arrive jamais et Ilaria entame une vie au gré de l’errance de son père, qui n’accepte pas la séparation d’avec son épouse. Seule avec ce père qu’elle redoute tout autant qu’elle l'aime, Ilaria apprend à conduire, mais aussi à mentir, brouiller les pistes et à vivre son enfance comme elle peut, en dessinant, observant, imaginant, en écoutant et reprenant les chansons italiennes diffusées par l’autoradio, jusqu’à ce jour où elle tente de joindre sa mère.

J’hésite. Les yeux du téléphone me fixent. La voix de la standardiste de l’hôtel me dit de rester en ligne. Mon cœur bat très vite. La voix de Maman est presque là.

Extrait de "Ilaria ou la conquête de la désobéissance" de Gabriella Zalapì 

Eviter le rapport bourreau-victime

Dans une langue très serrée, rapide et précise, Gabriella Zalapì ne cherche pas à restituer ce qu’elle a vécu, mais bien à créer des personnages pour explorer d’une part les loyautés d’un enfant déchiré entre deux parents et d’autre part ce qu’elle appelle l’aspect rhizomique de la vérité pour permettre au lectorat de s’approprier le texte.

L’écriture au présent et à la première personne et, surtout, le choix de parler à partir de la voix de l’enfant de huit ans, ont été essentiels à l’autrice afin de ne pas tomber dans le rapport bourreau-victime qu’elle souhaitait à tout prix éviter.

L’aspect autobiographique, ce n’est pas cela qui m’intéressait, par pudeur déjà et parce que je n’aurais pas pu l’écrire sinon.

Gabriella Zalapì, autrice de "Ilaria ou la conquête de la désobéissance"

Aussi un récit sur l'Italie

Le troisième roman de Gabriella Zalapì est aussi un récit sur l’Italie, celle des années 1980, surnommées les années de plomb, en proie à une grande violence, secouée par des attentats, assassinats et enlèvements. Un contexte et une situation politique qui résonnent et se greffent à ce qu’Ilaria est en train de vivre.

Et malgré tout, il y a les airs de vacances associés à ce pays, transmis au lectorat par la langue, les cafés, la cuisine, la lumière, le soleil, les gares, les autoroutes, la musique de l’autoradio. Ainsi que les Autogrills aux architectures sans nulle autre pareille, au contenu foisonnant que l’autrice décrit parfaitement avec quantité de produits et couleurs qui attirent la curiosité et l’œil de l’enfant.

"Ilaria ou la quête de la désobéissance" est un roman qui ne laisse pas indemne.

Céline O’Clin/aq

Gabriella Zalapì, "Ilaria ou la conquête de la désobéissance", éditions Zoé, août 2024.

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