Ismaïl Kadaré est décédé d'une crise cardiaque, a précisé l'hôpital de Tirana. Il y est arrivé "sans signe de vie", les médecins lui ont fait un massage cardiaque, mais il "est mort vers 8h40 (heure locale)", a dit l'hôpital.
Ethnographe sarcastique, romancier alternant grotesque et épique, Ismaïl Kadaré a exploré les mythes et l'histoire de son pays, pour disséquer les mécanismes d'un mal universel, le totalitarisme.
"La littérature m'a donné le courage de résister"
"L'enfer communiste, comme tout autre enfer, est étouffant", avait dit à l'AFP l'écrivain dans une de ses dernières interviews, en octobre, juste avant d'être élevé au rang de grand officier de la Légion d'honneur par le président français Emmanuel Macron. "Mais dans la littérature, cela se transforme en une force de vie, une force qui t'aide à survivre, à vaincre tête haute la dictature".
La littérature "m'a donné tout ce que j'ai aujourd'hui, elle a été le sens de ma vie, elle m'a donné le courage de résister, le bonheur, l'espoir de tout surmonter", avait-il expliqué, déjà affaibli, depuis sa maison de Tirana, la capitale albanaise.
Quelle meilleure métaphore de la terreur hideuse de l'opprimé que ces têtes des vizirs en disgrâce exposées au public dans "La niche de la honte" (1978), une évocation de l'occupation ottomane qui revient dans plusieurs ouvrages, comme "Les tambours de la pluie" (1970).
Exil en France
Ismaïl Kadaré se considérait comme un écrivain qui "essayait de faire une littérature normale dans un pays anormal".
Le poème des "Pachas rouges" (1975) le contraint à l'autocritique publique et les archives de l'ère Hoxha montrent qu'il a souvent frôlé l'arrestation. Sous l'épée de Damoclès de l'appareil policier, soumis à une surveillance aussi étouffante que constante, il s'exile en France 1990, ce qu'il raconte dans son "Printemps albanais" (1997).
Une cinquantaine d'ouvrages
"J'appartiens à l'un des peuples des Balkans, le peuple albanais, qui ont perdu l'Europe deux fois: au XVe siècle, durant l'occupation ottomane, puis au XXe siècle, durant la période communiste", expliquait l'écrivain en janvier 2015, après les attentats de Paris, au journal français Le Monde.
Son oeuvre, riche d'une cinquantaine d'ouvrages - romans, essais, nouvelles, poèmes, théâtre - traduits dans 40 langues, a été en partie écrite sous le régime d'Enver Hoxha, qui, jusqu'à sa mort en 1985, a dirigé d'une main de fer son pays hermétiquement clos.
Une condamnation universelle de la tyrannie
Jusqu'à la fin, Ismaïl Kadaré écrivait "tout le temps". "Je note des idées, j'écris des petits récits, j'ai des projets", racontait-il encore en octobre d'une voix fatiguée à l'AFP. "Car la littérature est mon plus grand amour, le seul, le plus grand incomparable avec toute autre chose dans ma vie. Et comme elle, "l'écrivain n'a pas d'âge".
Si l'Albanie fut son décor exclusif, sa condamnation de la tyrannie était elle, universelle - comme il l'expliquait dans "La discorde" (2013): "Si l'on se mettait à rechercher une ressemblance entre les peuples, on la trouverait avant tout dans leurs erreurs".
afp/aq