Kamel Daoud reçoit le prix Goncourt avec "Houris" et Gaël Faye le Renaudot avec "Jacaranda"
Choisi par le jury au premier tour, "Houris", paru aux éditions Gallimard, récompense le travail de Kamel Daoud, 54 ans, sur la "décennie noire" en Algérie, à savoir la guerre civile qui a ravagé ce pays il y a trente ans. Il succède à Jean-Baptiste Andrea, récompensé l'an dernier pour "Veiller sur elle" (L'Iconoclaste).
Son roman a été élu au premier tour de scrutin avec six voix devant les romans d'Hélène Gaudy (deux voix), et Gaël Faye et Sandrine Collette (une voix chacun).
"Houris" "donne voix aux souffrances liées à une période noire de l'Algérie, celle des femmes en particulier. Ce roman montre combien la littérature, dans sa haute liberté d'auscultation du réel, sa densité émotionnelle, trace, aux côtés du récit historique d'un peuple, un autre chemin de mémoire", a salué Philippe Claudel, à la tête du jury Goncourt.
Une femme muette durant la guerre civile
Les "Houris", ce sont les vierges promises aux fidèles musulmans qui accèdent au paradis. Ici, ce sont les voix retenues de la guerre civile algérienne dans les années 1990. Le livre raconte ainsi l'histoire d'Aube, une jeune femme devenue muette suite à une tentative d'égorgement lors de ce conflit, alors qu'elle était enfant.
Avec des monologues intérieurs, des paroles riches et poétiques, ce roman permet l’émergence d’une histoire longuement retenue et qui sort en un jet. Car la narratrice destine toutes ses paroles à l'enfant qu'elle porte et qu'elle ne souhaite pas garder.
"Houris" n'a pas pu être exporté vers l'Algérie et encore moins traduit en arabe. Comme l'écrit l'auteur dans son roman, la loi algérienne interdit toute évocation dans un livre des événements sanglants de la "décennie noire", la guerre civile entre pouvoir et islamistes entre 1992 et 2002.
La France, "un pays qui donne la liberté d'écrire"
En Algérie, "on m'attaque car je ne suis ni communiste, ni décolonial encarté, ni antifrançais", disait cet "exilé par la force des choses" au Point, le magazine français où il est chroniqueur, en août.
Depuis le restaurant Drouant à Paris où sont remis les prix Goncourt et Renaudot, le Franco-Algérien a rendu ce lundi hommage à la France, "un pays qui protège les écrivains" et lui "donne la liberté d'écrire".
"Je sais qu'on aime faire du 'French bashing', mais pour moi, ce pays-là, c'est un pays d'accueil pour les écrivains, pour les écritures et tout cela qui vient d'ailleurs", a-t-il déclaré. "On a toujours besoin de trois choses pour écrire: une table, une chaise et un pays. J'ai les trois", a-t-il ajouté.
Kamel Daoud avait déjà été lauréat du Prix Goncourt du premier roman en 2015 pour "Meursault, contre-enquête", une réécriture de "L'étranger" d'Albert Camus.
Le Renaudot pour Gaël Faye
Souvent cité parmi les favoris pour le Goncourt, Gaël Faye a lui été récompensé par le prix Renaudot pour son deuxième roman, "Jacaranda". Ce Franco-Rwandais de 42 ans a un profil atypique dans le paysage littéraire français: entre slam, musique et littérature, il est un artiste aux talents multiples, dont l'oeuvre ne cesse de revenir sur les plaies du Rwanda.
>> A lire : Dans "Jacaranda", Gaël Faye raconte le génocide au Rwanda à travers quatre générations
Dans son premier roman "Petit pays", prix Goncourt des lycéens 2016 et immense succès de librairie, l'auteur se plaçait du point de vue d'un garçon ayant grandi au Burundi. Cette fois-ci Gaël Faye situe son action après le génocide de 1994.
Les lectrices et lecteurs y découvrent Milan, un jeune Franco-Rwandais qui effectue plusieurs voyages à Kigali, au Rwanda, terre natale de sa mère. Dans ce pays dévasté et en pleine reconstruction, le jeune homme va rencontrer quatre générations et remonter avec elles le fil de l'Histoire pour percer les silences du Rwanda.
C'est "beaucoup de joie, une grande surprise", a réagi Gaël Faye au restaurant Drouant. Il succède à Ann Scott, lauréate en 2023 avec "Les insolents (Calmann-Lévy).
boi et aq avec afp