"L'affaire Midori" de Karyn Nishimura dévoile une face sombre de la société japonaise
"Le tout petit corps reposait taillé en six dans des glacières pleines de litières. La tête et les membres d'un côté, le tronc de l'autre". Ces quelques lignes qui ouvrent "L'affaire Midori", paru le 2 février, plongent directement les lectrices et les lecteurs dans l'horreur d'un fait divers des plus macabres: celui de la découverte du corps d'une fillette de cinq ans tuée et démembrée par sa mère.
L'autrice Karyn Nishimura, journaliste française, correspondante à Tokyo pour la RTS, le journal français Libération ou encore Radio France, publie là son premier roman. Une fiction dans laquelle "tout est presque vrai", est-il précisé en préambule de l'ouvrage. Et dans ce "presque", il y a, en particulier, le personnage de Midori Yamada, la mère infanticide. "C'est un personnage inventé, explique Karyn Nishimura dans le 12h30 du 12 février. Mais il est composé de multiples personnes que j'ai rencontrées, dont j'ai suivi les procès ou que j'ai simplement croisées à l'occasion de reportages. Et ce sont des personnes souvent dans la détresse".
La détresse des plus démunis
Midori est une jeune femme dévastée depuis la catastrophe de Fukushima qui a eu lieu en 2011. Habitant dans la région sinistrée, elle a dû tout abandonner et partir. Durant les premiers mois suivant l'accident nucléaire, il est déjà difficile d'être accueilli, même dans un hôtel, lorsque l'on annonce venir de la région contaminée. La situation s'avère encore plus compliquée pour Midori qui est alors enceinte sans être mariée. Très rapidement, elle se retrouve dans la précarité. "Elle sombre parce qu'elle n'appelle pas au secours sa mère. Cela ne se fait pas, précise l'autrice. On est dans une société où la tristesse, la pauvreté, la misère et le chagrin ne se montrent pas. On garde ça pour soi".
Si l'on s'en tient aux reportages télévisés, ces prisonniers sont tous d'horribles criminels, mais ils ne sont pas que cela. Ce sont souvent des faibles qui ont été malmenés par la société, des malchanceux
Démunie, Midori finit par commettre l'irréparable en tuant juste après leur naissance des jumeaux non désirés, puis sa fille de cinq ans dont elle est incapable de s'occuper. Après avoir suivi son procès, la narratrice qui est - et ce n'est pas un hasard - une journaliste, décide de rencontrer Midori pour comprendre comment une mère peut en arriver à commettre un acte aussi incompréhensible et impardonnable. L'occasion pour Karyn Nishimura de décrire un Japon dans lequel les populations précaires sont les oubliées du système, un Japon où la peine de mort est encore en vigueur, un Japon où les médias dérapent parfois.
Je voulais montrer que s'il y a beaucoup de beaux aspects dans la société japonaise, il y a aussi beaucoup de tristesse, de chagrin et de détresse.
Exprimer des sentiments et de l'émotion
Mais pourquoi avoir voulu passer par la fiction alors qu'en tant que journaliste, Karyn Nishimura a tout le loisir de parler et d'écrire sur ce pays dans lequel elle vit depuis plus de vingt ans?
"Je voulais mettre des sentiments, de l'émotion et de la compréhension. Je voulais mettre des interrogations, du chagrin, de la tristesse, du ressenti", détaille la Française. Avant de poursuivre: "J'avais vraiment besoin d'exprimer ce que, en tant que journaliste, je peux ressentir face à la détresse à laquelle je suis confrontée quasi quotidiennement. Je voulais aussi mettre ce que pouvaient ressentir les autres, ceux que je croise. Et puis je voulais également montrer que s'il y a beaucoup de beaux aspects dans la société japonaise, il y a aussi beaucoup de tristesse, de chagrin et de détresse.
Les limites du journalisme
Si le roman de Karyn Nishimura, à la rigueur et à la précision proches d'une enquête journalistique, porte un regard critique sur la société et la justice japonaises, c'est aussi une remise en question des fondements du travail des médias. "Nous parlons des gens, mais nous ne savons rien de leur histoire", analyse-t-elle.
Constatant les limites de la couverture médiatique sur ce type d'affaires, sa narratrice décide de rencontrer Midori et comprend que si celle-ci est coupable, elle est aussi et peut-être surtout, une victime. Une prise de conscience qui ne va pas être sans conséquences, puisque cette narratrice finira par quitter ses fonctions de journaliste. Une idée qui a aussi traversé quelques fois l'esprit de Karyn Nishimura, mais à laquelle elle n'a pas cédé.
Propos recueillis par Manuela Salvi
Adaptation web: Andréanne Quartier-la-Tente
Karyn Nishimura, "L'affaire Midori", éditions Picquier (février 2024).