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"La dernière chambre du Grand Hôtel Abîme" de Quentin Mouron, une morte à Venise

Quentin Mouron. [Marc Papotto]
Entretien avec Quentin Mouron, auteur de "La dernière chambre du Grand Hôtel Abîme", aux éditions Favre. / QWERTZ / 35 min. / mardi à 00:00
Après deux recueils de poésie et un essai littéraire, Quentin Mouron renoue avec sa fibre romanesque dans "La dernière chambre du Grand Hôtel Abîme". Plongée fictive dans l’univers impitoyable des influenceurs, ce récit aux faux airs de polar explore la cruauté et la solitude qu’engendrent les vertiges numériques.

Les réseaux sociaux sont sa deuxième table d’écriture. Notations littéraires, poèmes immédiats, aphorismes loufoques, Quentin Mouron livre au quotidien les traits vifs de son esprit gourmand. Acteur du monde numérique, chroniqueur médiatique, l’écrivain romand observe de l’intérieur l’émergence d’une caste de jeunes gens connus pour leur notoriété: YouTubeuses et influenceurs, ces nouveaux glossateurs jouissent d’un crédit qu’ont perdu journalistes et scientifiques.

Avec "La dernière chambre du Grand Hôtel Abîme", Quentin Mouron conte au plus-que-parfait le pèlerinage vénitien d’une poignée d’influenceurs, aboutissant au meurtre de l’une d’entre eux, Sixtine, retrouvée morte au bord de la piscine d’un grand hôtel.

Les errances d'êtres de pixels

A partir de la découverte du cadavre, exposée dans un prologue aux accents poétiques, ce septième roman remonte le fil du drame pour épouser les errances de Sam, Lola, Hugo, Rocco et Sixtine, êtres de pixels et de désir emportés dans un même bad trip narcissique.

Elle voulait lui raconter comment elle avait l’expérience de la puissance des réseaux sociaux, de sa propre puissance, mais Rocco n'avait pas répondu à ses messages comme il n’avait pas répondu à ses appels, elle avait écouté un podcast où il était question des vertus conjointes de la verveine et de la masturbation (...)

Extrait de "La dernière chambre du Grand Hôtel Abîme" de Quentin Mouron

Une Venise décadente

Mordant face à leurs rodomontades, tendre à l’égard de leurs contradictions intimes, Quentin Mouron ne fait pas de ses personnages des pantins sans âme. Bien nés pour la plupart, ces derniers jouissent d’un certain capital culturel, et leur romantisme spontané prend parfois l’ascendant sur leurs réflexes d’autopromotion.

Mais dans cette Venise décadente, rongée par le tourisme de masse, tous portent le masque de leur carnaval virtuel. A l’image d’une tragi-comédie de Shakespeare, dramaturge cité en exergue, la scène sur laquelle ces influenceurs évoluent demande sa livre de chair et ses victimes expiatoires.

Je pense qu’il faut essayer d’exprimer par les moyens de la littérature une réalité qui est elle-même constituée par le langage. Et donc il faut pouvoir faire se rencontrer les langages, accueillir les langages, les mondes, les subjectivités et tout ce qui est hétérogène à elle-même.

Quentin Mouron, auteur de "La dernière chambre du Grand Hôtel Abîme" 

Des souffles variés

Face à l’inconséquence désinvolte de ses protagonistes, la narration de ce roman se fait mouvante, glissant de la prose au vers, du vers au dialogue théâtral pour mieux cerner les subjectivités et les souffles variés de ses sujets.

Avec toujours la distance que procure l’emploi de la troisième personne et des participes passés. Indice que le livre, comme le filtre des écrans qui aplanit le réel, ne nous laisse pas dupes de ces dangereux badinages.

Nicolas Julliard/mh

Quentin Mouron, "La dernière chambre du Grand Hôtel Abîme", ed. Favre, mai 2024.

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