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"La fanatique" de Lolvé Tillmanns interroge la soumission d'une femme à l'idéologie nazie

Lolvé Tillmanns [Yves Leresche - Yves Leresche]
Quartier Livre: Lolvé Tillmanns / Quartier livre / 56 min. / le 15 septembre 2024
Dans "La fanatique", l'autrice Lolvé Tillmanns raconte l'histoire de Magdalena, femme de Joseph Goebbels, cerveau de la propagande nazie. Récit captivant à la première personne, "La fanatique" plonge au coeur de la grande Histoire pour comprendre celle d'une femme devenue symbole de l'extrémisme.

"La fanatique" n'est ni un livre sur le nazisme, ni un ouvrage sur la Seconde Guerre mondiale. Avec ce sixième roman, l'autrice valdo-genevoise Lolvé Tillmanns explore les raisons qui ont poussé Magdalena Goebbels à devenir la plus fervente fanatique d'une dictature inhumaine et de son Führer. Ce récit raconte le destin d'une femme à l'ambition dévorante, oscillant entre passion et dépression, épouse pour la cause ou par ambition des causes, soutenant jusqu'à la dernière minute Hitler et son régime ultraviolent.

Avec ce roman, Lolvé Tillmanns signe son livre le plus complexe. "J'avais besoin de comprendre, c'est pourquoi j'ai tellement disséqué Madgalena. Pourquoi? Pourquoi aller aussi loin? Elle est allée jusqu'au bout pour cette idéologie et ces hommes-là. Elle n'avait pas du tout besoin de faire cela", indique-t-elle dans le 12h45 du 20 août.

Pour écrire ce livre, il lui faudra quatre ans. S'il s'agit bien d'un roman, "La fanatique" repose néanmoins sur des recherches minutieuses: "J'ai vraiment lu tout ce qui me passait sous la main, beaucoup de livres d'historiens, quelques sources primaires. Et puis, j'ai essayé de me faire un portrait d'elle".

>> Voir l'entretien avec Lolvé Tillmanns dans le 12h45 :

Rendez-vous Culture : Cecilia Mendoza reçoit  l’écrivaine valdo-genevoise Lolvé Tillmanns
Rendez-vous Culture : Cecilia Mendoza reçoit l’écrivaine valdo-genevoise Lolvé Tillmanns / 12h45 / 7 min. / le 20 août 2024

L'inimaginable soumission d'une femme

Pour "La fanatique", Lolvé Tillmanns plonge son lectorat dans la tête de Magdalena, simplement M. dans le roman, dès sa naissance en 1901, au cours d'un captivant récit à la première personne. Dans un style concis et dynamique, le livre passe sur l'Histoire - la Première Guerre mondiale, l'entre-deux-guerres et la Seconde Guerre mondiale -, en arrière-plan de la vie de M., obsédée par un rêve de pouvoir, de richesse et d'aventure.

Grande bourgeoise embourbée dans un ennui profond, M. découvre par hasard la verve et le charisme de G. (Joseph Goebbels), chef de la propagande nazie. Elle décide de se jeter corps et âme dans le soutien au parti, fascinée par Le Chef (Adolf Hitler), qui la considère comme la seule femme digne de sa conversation. M. devient ainsi la plus violente fanatique du discours nazi et prend le surnom de "Première Dame du IIIe Reich".

En filigrane de la grande Histoire, la frustration de M. et sa passion éclairent l'inimaginable soumission et l'aveuglement d'une femme pourtant cultivée et initiée au bouddhisme et à la méditation. La fin de l'histoire de Magdalena Goebbels n'est pas un mystère. Déclarant qu'un monde sans Hitler ne vaut pas la peine d'être vécu, elle se suicide à 44 ans aux côtés de son mari dans le bunker d'Adolph Hitler, après avoir endormi, puis tué leurs six enfants.

Un roman de points de vue

"La fanatique" est un roman de points de vue. Lolvé Tillmanns passe sur certains détails de l'Histoire, parce qu'ils n'étaient pas connus de son héroïne. L'autrice imagine ses ressentis, dresse un portrait de cette femme en faisant des choix et en injectant le moins possible de fiction.

C'était plus le fait d'appartenir à une élite extrêmement puissante qui l'intéressait. (...) Finalement, le fond des idées, elle s'en accommodait

Lolvé Tillmanns, écrivaine, à propos de Magdalena Goebbels

Dans le roman, le parcours de Magdalena et ses incohérences éclairent sa passion: son beau-père adoré était juif, tout comme l'un de ses amours de jeunesse au côté duquel elle a même milité pour la création de l'Etat d'Israël en Palestine. Pour Lolvé Tillmanns, ces détails de la vie de Magdalena indiquent que les idées prônées par le nazisme - comme l'antisémitisme - étaient secondaires. Magdalena voyait en cette idéologie la possibilité d'accéder au pouvoir.

La passion à l'origine du drame

Alors que le rêve de Magdalena était de devenir puissante et riche en représentant le symbole d'un idéal féminin de l'idéologie nazie, elle se retrouve en réalité à vivre son plus grand drame: celui de s'enfermer dans sa condition féminine, emprisonnée par le sexisme et la misogynie des nazis.

Magdalena n'a en effet jamais pu jouer un véritable rôle et est restée cantonnée à la fonction d'enfanter. "Elle a été une représentation avec sa beauté et son élégance et le fait qu'elle était mariée avec beaucoup d'enfants. Elle s'est probablement enfermée là-dedans parce qu'elle n'a pas eu d'autres occasions de s'approcher autant de la force et de la lumière", indique Lolvé Tillmanns.

Les dynamiques du fanatisme

Au-delà d'un récit sur le destin d'une femme, Lolvé Tillmanns propose une véritable réflexion sur le fanatisme. Les chapitres du roman sont ainsi ponctués d'exergues: l'enregistrement d'un suicide collectif, un extrait du "Petit livre rouge" de Mao Zedong, une déclaration d'un membre de l'extrême droite israélienne, ou encore un extrait du manuel de recrutement d'Al-Qaida. Toutes ces idées, aussi différentes soient-elles, permettent à Lolvé Tillmanns de jeter un pont entre les idéologies extrémistes.

C'était pour moi assez fou et intéressant de voir que le fanatisme n'est pas lié à une culture ou à une époque. Le phénomène du fanatisme qui fait que l'on va jusqu'au bout n'est pas lié à Magdalena ou au nazisme

Lolvé Tillmanns, écrivaine

"Les idées n'ont absolument rien à voir entre elles, par contre, le phénomène du fanatisme a, je crois, des dynamiques similaires. Cela dépend plus de l'individu qui devient fanatique que des idées. C'est-à-dire qu'il y a plusieurs raisons différentes pour devenir fanatique, mais elles peuvent n'avoir rien à voir avec les idées elles-mêmes", souligne l'autrice.

Propos recueillis par Cecilia Mendoza

Adaptation web: Lara Donnet

Lolvé Tillmanns, "La fanatique", éditions cousu mouche, août 2024.

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