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"Le Club des enfants perdus", la malédiction de l'empathie de Rebecca Lighieri

L'autrice Rebecca Lighieri. [Editions P.O.L. - Pauline Rousseau]
Entretien avec Rebecca Lighieri, autrice de "Le Club des enfants perdus", ed. P.O.L. / QWERTZ / 24 min. / aujourd'hui à 00:00
Dans son nouveau roman, Rebecca Lighieri convoque tragédie shakespearienne, paranormal, amour familial, théâtralité, jeunesse et tristesse dans un récit polyphonique qui questionne notre appétit de vivre et notre capacité d’exister. 

Deux personnages se répondent dans "Le Club des enfants perdus": un père et une fille, Armand et Miranda. La graphie des prénoms donne le ton. Seul le i les sépare. Mais dans cette lettre se trouve un univers d’incompréhension qui n’empêche pas l’amour. Miranda, jeune femme que l’on pense falote face à un père flamboyant et comédien, possède en réalité des pouvoirs paranormaux. Dotée d’extraordinaires capacités d’empathie et d’hypersensibilité, son aptitude à entrer dans la tête des gens est sa malédiction.

"Si nous pensions en permanence au malheur des autres, nous serions submergés par le chagrin et incapables de vivre. Or c’est un peu ce qui arrive à Miranda", précise l’auteure dans le podcast Qwertz du 10 septembre. Le déclic du roman se trouve dans le mal-être des jeunes, cette génération Z aux prises avec ses peurs et ses difficultés à entrer dans l’âge adulte. La recrudescence, dans la sphère occidentale, des troubles psychiques, principalement chez les jeunes filles, bouleverse Rebecca Lighieri.

Une tentation d’irréalité

Il y a cet attrait, mâtiné d’illusion, de vivre dans un autre monde en temps de crise. En se réfugiant dans une réalité parallèle, Miranda s’évade de son trop-plein d’émotions. Mais en s’incarnant dans d’autres esprits, elle souffre. Son empathie pour le vivant, humain ou non humain, l’épuise, l’essouffle.

J’avais envie depuis longtemps de basculer dans le paranormal. J’ai conçu ce livre en réaction au pragmatisme et au matérialisme ambiant et avec cette idée que dans l’enfance, on croit souvent au féérique, et qu’avec l’âge adulte, on rationalise et on n’y croit plus. Mais c’est peut-être dans l’enfance que nous avions raison.

Rebecca Lighieri, autrice de "Le Club des enfants perdus"

Le récit mélancolique flirte constamment avec le merveilleux. L’auteure fait de Miranda un personnage shakespearien, aussi énigmatique qu’invraisemblable, représentatif des angoisses que traversent, en ce moment même, les 15-27 ans.

Le Club des 27

Mais Miranda a quelque chose que ses contemporains n’ont pas. Elle fait partie de ce "Club tragique des enfants perdus", le club des 27. Âmes trop sensibles, portant le poids du monde sur leurs épaules, Janis Joplin, Kurt Cobain, Amy Winehouse, Jim Morrison ou Jean-Michel Basquiat sont autant de destins brisés. Rebecca Lighieri pose ainsi la question: et si cette finitude était le salut de celles et ceux qui ressentent tout trop intensément? Et s’il y avait une dichotomie entre la possibilité de jouir de tout et d’être si peu vivant?

L’empathie, c’est insupportable quand c’est constant et quand c’est aussi poussé.

Rebecca Lighieri, autrice de "Le Club des enfants perdus"

Qui est vraiment Miranda? Connaissons-nous vraiment nos parents et nos enfants? Dans le théâtre de la vie, tout est représentation. Les mises en scène sont quotidiennes, même avec nos proches, créant un jeu de miroirs déformants.

Roman sur les apparences, sur la non-communication, sur les peurs, sur la non-jouissance ou le trop-plein de vie, "Le Club des enfants perdus" se termine par un silence et une incompréhension que rien ne saura lever. A travers les personnages de Miranda et d’Armand, Rebecca Lighieri nous transporte dans un voyage littéraire à travers les ombres et la lumière que nous portons en nous.

Catherine Fattebert/mh

Rebecca Lighieri, "Le Club des enfants perdus", éd. P.O.L, août 2024.

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