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Avec "Va voir dans le dico si j’y suis!", Médéric Gasquet-Cyrus désacralise les définitions

L'écrivain Médéric Gasquet Cyrus. [DR]
Entretien avec Médéric Gasquet-Cyrus, auteur de "Va voir dans le dico si j'y suis!" / QWERTZ / 37 min. / mardi à 00:00
L’universitaire et linguiste français Médéric Gasquet-Cyrus cosigne avec Christophe Rey "Va voir dans le dico si j’y suis!", un essai qui compare les évolutions des définitions de mots à travers le temps.

Médéric Gasquet-Cyrus, sociolinguiste et maître de conférences à l’Université d’Aix Marseille, s’est associé à Christophe Rey, autre spécialiste des sciences du langage enseignant à l’Université de Cergy en France, pour concocter un délicieux petit essai consacré aux dictionnaires.

Leur idée: comparer les définitions des mots à travers le temps, pour montrer à quel point les dictionnaires ne sont pas neutres. Ils reflètent l’état d’une société, celle de l’époque dans laquelle ils ont été conçus, mais témoignent aussi du conservatisme de leurs auteurs.

À la lecture de "Va voir dans le dico si j’y suis!", on prend avant tout conscience d’une évidence: la plupart des dictionnaires ont été rédigés par des hommes blancs. Ainsi, les définitions du mot "femme" à travers les âges nous montrent qu’elle a été longtemps uniquement vue comme "compagne de l’homme" ou dans sa fonction procréatrice: "qui met au monde des enfants". Quant aux exemples qui illustrent les occurrences d’un mot, ils sont parfois confondants de naïveté.

Ce sont des ouvrages faits par des humains qui ont leur sensibilité, leur éducation, leur idéologie. On décrypte derrière les définitions l’esprit d’une époque ou l’esprit en retard, un certain conservatisme et c’est passionnant: on voit que la langue bouge, mais que les dictionnaires traduisent plus ou moins ses mouvements.

Médéric Gasquet-Cyrus, auteur de "Va voir dans le dico si j’y suis!"

L’ouvrage montre qu’il y a des dictionnaires plus ou moins de droite ou de gauche, plus ou moins conservateurs, et qu’ils jouent un rôle dans la façon même dont on perçoit notre langue. "Les dictionnaires sont apparus en Europe à la Renaissance et sont à la base des nationalismes. Ils ont permis de construire l’idée d’une nation", rappelle Médéric Gasquet-Cyrus. 

Le chercheur fait partie des Linguistes atterrés, collectif d’universitaires qui ont signé en 2023 "Le français va très bien, merci", petit opus de la collection Tract, chez Gallimard. Depuis des années, il observe les variations de la langue française et s’insurge contre un courant idéologique qui voudrait maintenir la langue dans un certain état, avec ce qui se dit et ce qui ne se dit pas.

Pour lui, le dictionnaire de l’Académie française, dont les Immortels viennent de publier une nouvelle version, est une "sorte de fantasme de bon usage d’une langue que personne ne parle". Pour preuve, énormément de mots n’y sont pas, de féminicide à cyberharcèlement.

Le français dans toutes ses variations

"La France s’est construite politiquement avec un modèle de centralisation qu’on vit encore aujourd’hui, autour d’une seule langue et d’une seule variété de langue, le soi-disant bon usage ou bon français. C’est devenu un mythe. L’Académie voudrait nous imposer une sorte de carcan idéologique", regrette Médéric Gasquet-Cyrus.

Ce spécialiste du parler marseillais constate aussi que l’Académie ne reflète pas le français dans toutes ses variations, tel qu’il est parlé et tel qu’il évolue à travers la francophonie. Alors que, fait-il remarquer, "la langue française n’existe qu’à travers la multiplicité de ses usages".

Le problème, c’est que comme la langue française, les dictionnaires sont souvent sacralisés. On en parle au singulier, on dit qu’un mot est ou n’est pas dans "le" dictionnaire. Ainsi ce livre salutaire nous alerte: ne croyez pas qu’il y a un seul dictionnaire, il y en a plusieurs. Le langage n’est pas figé, les mots évoluent, et les définitions aussi.

Sylvie Tanette/ms

Médéric Gasquet Cyrus et Christophe Rey, "Va voir dans le dico si j’y suis! Ce que les dictionnaires racontent de nos sociétés", Éditions de l’Atelier, octobre 2024.

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