Le voyage au bout de la nuit hypersensible de Gaëlle Josse
Gaëlle Josse aime surprendre. Ecrivaine reconnue pour sa sensibilité, sa poésie, elle choisit, pour son dernier ouvrage intitulé "A quoi songent-ils ceux que le sommeil fuit?", un format original en forme de petites nouvelles, de microfictions enchâssées, telles des étoiles les unes dans les autres, ayant comme thématique la nuit et ce qu’on y fait.
Celles-ci, singulières, se suivent, ne se ressemblent pas. Les raisons des veilles sont nombreuses, vont de l’errance au deuil, à l’amour, à la mort, au sexe, aux enfants que l’on berce, aux déambulations, à l’ivresse, à la fête, au travail, aux attentes face à la vie qui s’écoule. Les personnages, héros du quotidien, se retrouvent suspendus dans ce temps particulier, éclairé par les réverbères, entre le mystère et l'éternité.
Les vestiges du jour s’effacent quand vient la nuit
En trente-cinq récits, l’auteure se rêve Shéhérazade, embarque lectrice et lecteur dans une histoire et son contretemps: l’envers du monde. Diurne contre nocturne. La nuit est un moment-bulle.
Les personnages sont arrivés un peu les uns derrière les autres. Le premier est né d’un simple face-à-face avec une autre silhouette qui veille et avec laquelle on sait qu’on partage cette absence de sommeil. Et là, cette envie de se demander: qu’est-ce qui remonte après le jour?
Ce sont ces moments-là que l’écrivaine capte, avec ses mots. Elle suit les pensées qui résonnent à l’intérieur du corps et de l’esprit, en fait des perceptions nocturnes aiguës.
Particularité du récit, cette nuit justement, qui se glisse en intertitre. "Chacune de ces histoires est entrecoupée d’un vers libre qui commence toujours par: La nuit …". Une tonalité, une basse obsessionnelle qui décline toutes les facettes possibles de ce moment entre loup et coq.
La nuit, c’est un face-à-face avec à soi-même, parfois apaisé, porteur de projets, de souvenirs, mais il peut aussi être hanté par des deuils, des remords.
Quand le corps appelle à se poser dans l’obscurité, les personnages de Gaëlle Josse, au contraire, s’animent. C’est une sorte de transgression sociale que de vivre quand meurt le jour. "Les nuits éveillées sont des moments où je constate que, paradoxalement, le corps est au repos, mais qu’il y a une espèce d’hyperacuité mentale où il se passe finalement énormément de choses", indique l’autrice dans le podcast QWERTZ du 20 février.
Ce sont des moments où rien ne compte plus que le dialogue avec soi-même. Les masques tombent. La nuit met notre âme à vif. Avec "A quoi songent-ils ceux que le sommeil fuit ?", Gaëlle Josse transcende le simple acte de veiller, pour explorer l’étincelle qui fait de nous des humains.
Catherine Fattebert/olhor
Gaëlle Josse, "A quoi songent-ils ceux que le sommeil fuit?", Notabilia, février 2024.
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