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Lorrain Voisard remporte le Prix du public RTS 2024 avec "Au coeur de la bête"

Lorrain Voisard. [Simon de Diesbach]
Remise du Prix du public RTS / Quartier livre / 51 min. / aujourd'hui à 16:08
Le jury du Prix du public, formé de 14 auditrices et auditeurs de la RTS issus des sept cantons francophones, a primé ce dimanche "Au coeur de la bête", premier récit de Lorrain Voisard, auteur imérien dont la prose transpose avec beaucoup d’habileté ses quelques mois de travail au sein d’un abattoir romand.

Dans le livre, le sang pulse, les chairs frémissent et les dents grincent. A la lecture, difficile d’échapper à son tour à ces mouvements-là. Récit puissant d’une immersion dans un abattoir romand, "Au cœur de la bête", paru aux éditions d’en bas, ne saurait laisser indifférent. Lorrain Voisard y décrit les cris, le froid, les odeurs et la mort avec la précision d’un reporter embarqué. Un talent de naturaliste remarqué par le jury du public de la RTS, qui a fait de lui son lauréat 2024.

Remis ce dimanche 24 novembre dans le cadre de l’émission radio Quartier Livre (RTS Première), le Prix du Public 2024 salue une démarche rare en terres romandes. Explicitement inscrit dans une longue filiation littéraire, qui irait d’Upton Sinclair à Joseph Pontus, d’Emile Zola à Tristan Egolf, le premier livre de l’auteur, né en 1987 à Saint-Imier, s’inspire de la forme romanesque pour composer un documentaire à la première personne.

Un intello embarqué

Probable double de l’auteur, le narrateur Arthur Jolissaint se fait engager dans un abattoir de campagne. Intello embarqué comme pouvaient l’être les "établis" de l’après-mai 68, le jeune homme découvre et décrit avec précision les gestes que cette petite société, très majoritairement masculine, accomplit pour alimenter l’industrie carnée.

Pas de militantisme affiché pourtant dans cette immersion troublante. Malgré l’angoisse et la répulsion qu’il éprouve, le narrateur se garde de tout jugement quant à la légitimité de ces usines de mort, jouant de la forme narrative dans une savante alternance entre le reportage à vif et la distance nécessaire à la prise de conscience.

Absence de parti pris

Cette absence délibérée de parti pris a joué, pour les membres du jury, en faveur de son récit. Au terme d’une année de lecture intense (près de 40 livres) et de cinq séances de délibération, les 14 participants au jury, issus des sept cantons francophones, ont retenu quatre ouvrages: "Agnus Dei" de Julien Sansonnens (ed. de l’Aire), "Ce qu’il reste de tout ça" de Fanny Desarzens (ed. Slatkine), "Mon Dieu faites que je gagne" de Sonia Baechler (ed. Bernard Campiche) et "Au cœur de la bête".

Ce dernier l’a emporté par "l’humanité qui se dégage des échanges sociaux dont il témoigne, par la poésie et l’audace formelle de sa narration, ainsi que par l’absence de jugement définitif sur l’industrie qu’il observe et décrit", selon les mots du jury. "Le lecteur apprend, est confronté à lui-même, ne s’amuse pas mais est emporté par une langue précise, vive et très évocatrice", souligne encore un membre du jury.

Doté de 10’000 francs, le Prix a été remis au lauréat au Nouveau Monde de Fribourg, lors d’un événement public organisé en collaboration avec le festival Textures. Lorrain Voisard succède ainsi à Mélanie Richoz, et devient le 38e auteur primé par cette distinction créée en 1987.

Chaque année, le Prix du public RTS soutient les autrices et auteurs suisses ou vivant en Suisse. Il s’agit d’un des plus importants prix littéraires de Suisse romande, soulignant le rôle d'acteur culturel joué depuis des décennies par la RTS dans sa mission de service public.

Nicolas Julliard/mh

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"Au cœur de la bête" (Éditions d'en bas)

Dans l’usine de la campagne voisine, il y a des gens et des bêtes qui vivent et qui meurent les uns contre les autres. Par moments leurs poils ou leurs yeux s’emmêlent plus que prévu et traversent les frontières établies entre les lieux, les individus, les espèces. Se forment des moments de vie plus ou moins souterrains où se mélangent l’horreur quotidienne et la poésie, le rêve, et le réel, le plus palpable. Et peut-être qu’au bout de ce mélange se trouvent des pistes de renouement possible, par le fond de la terre et les entrailles… Dans l’usine de la campagne voisine, il y a toute une classe de la population, une classe hybride, intello-artisanale, bricoleuse et débrouillarde, qui n’a jamais cessé de penser avec les mains et de façonner du lien avec son "environnement"…