Martin Suter aime écrire des livres qu’il lirait volontiers. Tous comportent leur part de mystère, de secret. Pour l’auteur, ses personnages sont toujours différents entre le début et la fin du roman. "C’est une dramaturgie classique", avoue-t-il avec modestie, mais c’est ce qu’il recherche: l’étincelle, le basculement. "Qui suis-je et qui pourrais-je être encore sont des thèmes qui m'ont toujours fasciné", indique l'auteur au podcast QWERTZ du 8 février. Les événements font office d’athanor dans lequel les personnages évoluent. Peu importe le catalyseur, seul l’être transformé fait sens.
Ici, le secret, c’est Melody. Qui est-elle? Pourquoi son portrait est-il suspendu partout dans cette demeure qui ressemble à un mausolée? Pourquoi a-t-elle disparu juste avant les noces? Est-elle morte ou vivante? Que s’est-il passé? Cette femme et son absence ont littéralement pétri, changé le Dr. Peter Stotz et tout son entourage.
Les choses et les gens absents sont parfois les plus présents
Sachant qu’il lui reste peu de temps à vivre, Peter Stotz, ancien conseiller national, industriel, militaire, membre de la bonne société zurichoise, engage un jeune avocat, Tom Elmer. Celui-ci, sous couvert d’archiver et d’écrire en sous-main une biographie de Peter Stotz expurgée de scories, devient surtout le récipiendaire d’une fabuleuse histoire d’amour. Véritable oreille, mais tenu au secret professionnel (le secret, encore), Tom est le fil que nous suivons pour tenter de comprendre Melody, sa vie, sa disparition.
C’est toujours un avantage d’avoir vécu pour écrire un livre. J’ai publié mon premier roman quand j’avais passé la quarantaine. A vingt ans, on écrit beaucoup de sa propre vie quand on n’est pas un inventeur d’histoires.
Livre de la maturité, "Melody" sent le café, la pipe, le cognac, la cuisine italienne et le passé. Dans cette maison où plane l’image et la mémoire vive de la jeune femme s’activent des êtres de chair, toutes et tous au service de Peter Stotz: intendante, majordome, ami écrivain, jeune avocat, ancienne secrétaire particulière. L’humeur y est à la fois studieuse et joyeuse, emplie des parfums qui s’échappent de la cuisine.
Un livre doit avoir une atmosphère, un goût et une odeur
Fin gourmet, épicurien, Martin Suter aime faire gargouiller les estomacs, frisotter les moustaches et s’activer les glandes salivaires de ses lectrices et lecteurs. L’histoire de Melody s’inscrit dans la continuité d’un rituel culinaire. C’est autour de la table, devant les trésors gastronomiques concoctés par Mariella que se font les confidences.
Quand j’ai commencé avec "Melody", je suis allé dans un magasin dans lequel j’achète des pâtes maison. Il y avait un livre de cuisine, écrit par la propriétaire du magasin. Je me suis dit: 'manger comme ça tous les jours, wouah!'
Pour l’auteur, un roman doit s’attacher au concret, s’ancrer dans la réalité. Nous ne sommes pas des purs esprits. "Pour moi c’est un avantage d’aller dans les bistrots, les restaurants. Ces endroits sont excellents pour écrire des dialogues". Personne au monde ne fait que parler. Les discussions s’habillent d’ambiances. On se rencontre au coin d’un feu, d’une table, au volant. Tout cela est l’essence d’un récit, son ancrage, son atmosphère.
L’atmosphère sert ainsi l’enquête philosophique, l’évocation de souvenirs de ce livre puzzle. "Melody" est un miroir à multiples facettes, à l’image de ce que nous laissons quand nous partons. Fantômes, il subsiste de nous une idée fugace, juste une trace dans le cœur des gens qui nous ont aimés. "Plus je vieillis, plus je vois que c’est l’amour qui nous reste", confie l'écrivain alémanique. Et "Melody" est un très beau roman d’amour.
Catherine Fattebert/sc
Martin Suter, "Melody", éditions Phébus. Paru le 18 janvier 2024.
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