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Pascale Kramer interroge l'ambivalence des relations hommes-femmes dans "Les indulgences"

L'auteure Pascale Kramer.
David Ignaszewski/Koboy
Flammarion [Flammarion - David Ignaszewski/Koboy]
Lʹinvitée: Pascale Kramer "Les indulgences" / Vertigo / 25 min. / le 16 février 2024
Dans son nouveau roman "Les indulgences", l'écrivaine romande Pascale Kramer explore les relations entre les hommes et les femmes dans les décennies qui ont précédé le mouvement #MeToo. Une réflexion sans jugement et tout en nuances sur un sujet délicat.

"Beaucoup de gens qui ont lu mon livre voient dans le personnage de Vincent un prédateur, or pour moi, c'est juste un 'homme à femmes'. Et Clémence, qui a 18 ans, n'est plus une gamine. Elle lui tombe dans les bras, car elle le veut", explique avec franchise Pascale Kramer, invitée dans l'émission Vertigo du 19 février pour évoquer "Les indulgences".

Dans ce nouveau roman, l'autrice romande explore en cinq moments-clés la relation entre une jeune fille et son oncle. En 1977, Clémence a 13 ans lorsqu'elle ressent les premiers émois pour ce quadragénaire qui a la réputation d'être un collectionneur de femmes. Cinq ans plus tard, à tout juste 18 ans, elle devient la maîtresse occasionnelle de celui-ci. Leur brève liaison finit par s’ébruiter et ébranler l'ensemble de la famille, qui préfère accabler Clémence plutôt que Vincent.

Un récit tout en nuances

Six ans après "Une famille", Pascale Kramer, récipiendaire d'un Grand Prix suisse de littérature en 2017 pour l'ensemble de son oeuvre, est de retour avec un récit qui ausculte à travers trois générations d'épouses, de mères et de filles, les rapports entre les hommes et les femmes durant les quatre décennies qui ont précédé le mouvement #MeToo .

Dans ce roman, Vincent, marié, est un séducteur qui vit au sein d’une famille (et d'une société) où son comportement n’est pas remis en cause. "On ne divorce pas pour des bêtises", estime ainsi Nancy, la matriarche de la famille, lorsque la femme de Vincent veut demander le divorce suite aux nombreuses infidélités de son mari.

Mais Pascale Kramer, qui a toujours su décrire la nuance et l'ambivalence, précise: "Ce serait trop simple, trop facile si Vincent n’était qu’un 'gros salaud'. Les gens ont toujours plusieurs facettes et la question est de savoir à quel moment les facettes sombres et répréhensibles prennent le pas sur les autres."

Une question d'époque

Dans ce récit, elle ne porte pas de jugement sur les actions et réactions de ses personnages. "Dans mon travail, je ne juge jamais. J'observe et j'essaie de donner à voir au plus juste de ce que j'observe. Après, c'est à chacun de se faire son opinion."

Mais lorsque des jeunes femmes de sa maison d'édition Flammarion lui ont indiqué qu'elles considéraient la première scène de sexe entre Clémence et son oncle comme un viol, elle a néanmoins été surprise: "Les désirs ne se croisent pas et ce n'est pas réussi, mais pour moi, ce n'est pas un viol." Pascale Kramer estime que l'on peut faire beaucoup de reproches à ce personnage égocentrique, profitant de cette petite amourette sans se demander si cela va faire du mal à la jeune femme qui attend beaucoup plus de cette relation, "mais cela ne va pas au-delà des reproches".

Je n'ai surtout pas su résister à ta fougue, tu n'imagines même pas combien tu étais libre, entreprenante

Le personnage de Vincent s'adressant à Clémence. Extrait de "Les indulgences" de Pascale Kramer

Si Pascale Kramer, 62 ans, n'est pas en opposition avec la nouvelle génération sur la façon dont celle-ci pense aujourd'hui les rapports de domination et de pouvoir dans les relations de couple, elle précise cependant: "Je suis une femme de ma génération. Je ne peux pas non plus me défaire de ce que j'ai été ou revivre différemment ce que j'ai pu vivre à ce moment-là".

Inspiré par sa propre jeunesse

Car si "Les indulgences" n'est pas un roman autobiographique, c'est bien dans sa propre jeunesse, passée en Suisse romande, que l'autrice est allée puiser son inspiration. "C'était une période où les mots d'ordre étaient la liberté et la transgression. C'était le moment où l'on avait la pilule et pas encore le sida. Nous étions très libres et nous avons testé beaucoup de choses", analyse l'autrice.

Et si certains comportements sont aujourd'hui considérés avec le recul comme problématiques, "on ne les vivait pas de cette façon-là à l'époque", indique-t-elle avant de parler de sa propre expérience: "J'ai eu des histoires qui n'étaient pas satisfaisantes, qui m'ont fait du mal, mais que je ne requalifierais pas aujourd'hui [de problématiques], parce que je les ai voulues. J'ai pris des risques, j'ai assumé ces risques et cela ne m'a pas détruite", indique-t-elle. Avant d'avouer: "J'ai pu aimer des hommes comme Vincent".

[Lenka] s'était souvent posé ces questions, comme tout le monde se les posait désormais, et la réponse qui semblait la plus juste, ou la plus honnête (...) c'est que Vincent n'avait jamais rien fait d'inexcusable avec elle. Ou du moins rien à quoi elle n'ait, d'une certaine manière, consenti et même participé.

Exrait de "Les indulgences" de Pascale Kramer.

Ce travail d'introspection réalisé pour l'écriture de ce roman l'a néanmoins obligée à se replonger dans cette période pré #MeToo avec les yeux d'aujourd'hui. "J'ai aussi essayé d'exprimer dans mon livre qu'à cette époque, nous, les femmes, n'avons pas toujours dit aux hommes ce qui allait et ce qui n’allait pas. Nous avons accepté et laissé faire des tas de choses, alors que nous aurions peut-être dû nous opposer. J'ai pris conscience que nous avions été un peu trop indulgentes."

Propos recueillis par Rafael Wolf

Adaptation web: Andréanne Quartier-la-Tente

Pascale Kramer, "Les indulgences", Flammarion. Paru le 17 janvier 2024.

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