Polar intense, "Les extradées" de Nicolas Feuz s'invite dans la prison pour femmes de Lonay
Majo mène à la baguette ses hamsters, surnom qu’elle a donné aux locataires de l’unité 3 de la prison pour femme de Lonay, près de Morges (VD). Pour les plus récalcitrantes qui osent contester ses humiliations à répétition, la promesse d’un séjour au mitard ou pire, d’un passage dans la pièce spéciale, dissimulée derrière la porte rouge, suffit à les calmer.
Au sein de cette prison on trouve Steva, alias la vampire serbe des Balkans, Pilar la mule jamaïcaine, Clem la femme enceinte accusée de vouloir tuer son conjoint, Tanja la machine à cogner albanaise ou encore Louise la coupable d’infanticide. Des extradées qui savent que la mort peut surgir ici-bas sans que personne à l’extérieur ne découvre comment elle a frappé. Pépita en est la preuve!
La prison est une zone de non-droit. Et de non-intimité aussi. Une fois que tu l’as compris et accepté, tu vis mieux.
L'agressivité de la prison
La fragile Coralie, terrorisée, est jetée telle une proie en pâture aux tigresses et lionnes dressées par la hyène Majo. La métaphore colle parfaitement à l’atmosphère agressive qui règne dans cette jungle. Parmi ces tueuses d’enfant, mères détruites, mules ou flics qui ont mal tourné, femmes au destin brisé bannies du système, Coralie crie à l’injustice. Pour sauver sa fille Justine des griffes d’un mari pédophile, elle a bravé tous les interdits. Accusée de calomnie à l’encontre de son époux, cette désespérée qui a enlevé puis caché sa fille a été arrêtée et incarcérée. Mais elle est convaincue de sa libération soudaine.
Le temps presse, car la vie de Justine, qui a disparu, est en jeu. Le procureur Jemsen et sa greffière Flavie sont sur les dents depuis la découverte du corps d’Aurélie, une môme de 12 ans victime de harcèlement et qui s’est suicidée après avoir adressé une lettre d’adieu à Justine, sa seule amie. Le père de la disparue guide les enquêteurs sur la piste de son épouse Coralie, "une folle" qui l’accuse à tort de maltraiter leur fille. Qui des deux dit vrai? Pour le procureur Jemsen et sa greffière, l’urgence est ailleurs. Il faut retrouver Justine au plus vite.
Une scène de crime en préambule
Dans ce sixième tome des aventures de Jemsen, ponctué de références à d’autres ouvrages comme "Le philatéliste" ou "Les larmes du lagon", avec une Tanja extradée de Polynésie vers la Suisse en attendant son jugement, Nicolas Feuz plonge son lectorat comme à son habitude dans le vif du sujet en investissant dès l’entame une scène de crime. En alternant ensuite habilement l’enquête qui ne peut se permettre de piétiner et le huis clos carcéral oppressant, il offre un page turner d’une rare efficacité.
Le procureur suisse contrairement au procureur français ou américain, se charge beaucoup d’instruction et très peu de la défense des dossiers devant le tribunal.
Parfaitement documenté en tant que procureur du canton de Neuchâtel, Nicolas Feuz apporte de la chair à son récit en décrivant avec une rare minutie les techniques pour intercepter un criminel en fuite à travers la Suisse, ainsi que les rapports entre les différents services mobilisés par une telle affaire. Dans la prison, il ne s’interdit pas la fiction, le temps de passages violents et autres altercations mortelles entre codétenues. Mieux encore, Coralie, comme le lectorat, est aux premières loges d’une tentative d’évasion explosive!
Derrière le divertissement, l’auteur survole un sujet dans l’air du temps: les inquiétants suicides d’adolescents harcelés. Il invite aussi à la réflexion sur une arme absolue, le féminicide par procuration. Dans certains couples, la séparation est en effet si douloureuse que l’un des deux ex-partenaires, prêt à tout pour faire souffrir l’autre, orchestre le meurtre de leur propre enfant.
Philippe Congiusti/mh
Nicolas Feuz, "Les extradées", éditions Rosie & Wolfe, octobre 2024.
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