LES CHOIX DE SARAH CLEMENT:
Carole Lobel, "En territoire ennemi", L'Association
Descente aux enfers, force des propos, cette bande dessinée sur la domination masculine ne vous laissera pas indemne! Elevée par une mère catholique et anti-avortement, Carole est une jeune fille timide et solitaire. En entrant à l'école des beaux-arts de Nantes, elle rencontre le beau Stéphane et tombe sous son charme (et son emprise).
L'effondrement sera progressif: isolement, brutalité sexuelle, stupéfiants. Si Carole garde une ouverture sur le monde grâce à son travail, Stéphane lui va s'engluer dans la paranoïa, l'extrême-droite et les discours masculinistes.
Marzena Sowa et Geoffrey Delinte, "Hey Djo!", Gallimard BD
Petite, Marzena Sowa rêvait d'être chauffeuse poids lourd. Geoffrey Delinte, lui, est fils de camionneur. A eux deux, ils ont réalisé "Hey Djo!", un road-trip tout en délicatesse sur le métier de routier.
A l'heure des grandes vacances, Djo, 13 ans, se voit obliger d'accompagner son père sur les routes de Belgique et de France. D'abord réfractaire, il va découvrir le quotidien d'un routier, entre chargements sur les docks, déplacements sur tout type de routes et les fameuses pauses sieste/repas. Outre l’aspect aventureux, la route est aussi propice aux rencontres.
Olivier Bocquet et Anlor, "Ladies with guns", Dargaud
Si vous cherchez une nouvelle série BD pour compléter votre collection, jetez-vous sur les trois tomes de "Ladies with guns" (le quatrième est en préparation), un western féminin à la sauce tarantinesque.
Dans l'Ouest américain, une jeune esclave en fuite, une veuve issue de la bourgeoisie, une prostituée, une institutrice à la retraite et une Indienne en colère sont obligées de s'unir, pour affronter des hommes aussi bêtes que violents. "Ladies with guns" ce sont cinq femmes d'exception qui manient aussi bien la répartie que le fusil.
MarieMo, "Pied à terre: une expédition à bord de l'Ocean Viking", Antipodes
"Pied à terre" est le carnet de bord ultra détaillé, minutieux et touchant de MarieMo. Passionnée par la mer, l'artiste neuchâteloise dessine depuis toujours les causes qui lui tiennent à cœur. Après le réchauffement climatique, elle s'est plongée dans la crise migratoire en mer Méditerranée. Les 25 jours passés à bord de l'Ocean Viking lui ont permis de mettre en image la mission et le quotidien de celles et ceux qui oeuvrent chaque jour à bord du navire humanitaire. Un îlot d'humanité face à l'indifférence générale.
>> A lire aussi : "Pied à terre" de MarieMo, une BD belle et touchante sur l'Ocean Viking
Fabien Vehlmann et Jean-Baptiste Andreae, "La cuisine des ogres: Trois-fois-morte", Rue de Sèvres
Conte initiatique, "La cuisine des ogres" est un bijou esthétique aux tons bleus et or qui plaira aux amateurs et amatrices de fantasy.
Blanchette, orpheline maigrichonne, se fait capturer avec d'autres enfants par le croque-mitaine, afin d'être dévorés par des ogres fins gourmets. Echappant de peu au hachoir, la petite fille va s'allier avec Brèche-dent, un chevreau légèrement trouillard, pour tenter de sauver ses amis. Entre nains colériques et kraken, oserez-vous goûter la soupe d'ongles ou les lardons d'enfants sages?
LES CHOIX DE GILLES DE DIESBACH:
Marc Toricès, "Cornelius: la vie pleine de joie du triste chien", Acte Sud
Cette anthologie de fanzines est un leurre. Elle n'est pas l'œuvre d'un collectif d'auteurs comme elle le prétend, mais bien celle de Marc Toricès tout seul. Un exploit tant l'auteur démultiplie les genres graphiques et les ingéniosités narratives pour illustrer une histoire de chien anthropomorphe.
Celle de Cornelius, garçon d'entretien dans un centre sportif, seul témoin du kidnapping de la nièce de son patron. Sauf qu'il panique au lieu de la sauver. N'assumant pas sa lâcheté, il fuit et s'enfonce dans son imbécillité. Ou comment mettre l'absurde sur un piédestal? Du jamais vu!
Luz, "Deux filles nues", Albin Michel
Au début, la page est blanche, seuls quelques phylactères d'une discussion entre l'expressionniste Otto Müller et son modèle. Puis, les premiers coups de pinceau révèlent le visage du peintre en pleine création. Enfin, le tableau prend forme, mais on ne le voit jamais. Non, car chaque page montre ce que la toile perçoit: sa spoliation par les nazis, l'exposition "Art dégénéré" de 1937, ses propriétaires successifs jusqu'à sa restitution. Une œuvre pour dire toute l'importance de l'art à travers l'imbécillité et la violence du régime fasciste. Fantastique!
Frederik Peeters et Serge Lehman, "Saint-Elme T05: les Thermopyles, Delcourt
Frederik Peeters, c'est la classe incontestée. Incontestable! Il n'y a qu'un auteur de cette trempe pour conclure ainsi cette série noire, polar violent créé avec Serge Lehman. L'heure est donc au règlement de comptes, avec un affrontement final haletant, d'une maîtrise graphique fascinante. Une scène d'action pure, découpée au cordeau.
Avec "Saint-Elme", le duo d'auteurs ambitionnait la création d'une nouvelle référence de la pop culture, loin des clichés, dans un décor montagnard proche de chez nous. Ils ont réussi. Indéniablement.
>> A lire également un article de 2022 sur la série "Saint-Elme" : "Saint-Elme", le polar pop du bédéiste genevois Frederik Peeters
Alix Garin, "Impénétrable", Le Lombard
Quelle mise à nu! "Impénétrable", pour dire son vaginisme. Maladie taboue qu'Alix Garin a portée dans sa chair et son couple pendant deux ans. Impossible pour elle d'avoir des relations sexuelles avec son conjoint qu'elle aime tant. A chaque fois, elle se raidit. La douleur, puis l'abstinence. Et son parcours de guérison qu'elle partage avec tant de sincérité, du plus profond de son être.
Il y a en tellement de ces récits de vie en BD! "Impénétrable", lui, est à part. Car il nous renvoie furieusement à nous! A nos désirs, notre sexualité, notre épanouissement dans l'amour.
>> A lire également : Dans sa BD "Impénétrable", Alix Garin raconte le trouble sexuel méconnu du vaginisme
Victor Hugo et Marcel Durant, "Les travailleurs de la mer", Glénat
Cette toute première adaptation en BD du roman écrit par Victor Hugo en 1866 exhale le parfum des livres anciens. Ceux dont le récit était épisodiquement illustré par des gravures.
Marcel Durant reprend ici ce principe graphique, et le décuple à des planches abasourdissantes, entièrement réalisée en hachure. Un parti pris pour se fondre parfaitement à l'écriture romantique de Victor Hugo et à son époque. Il réussit ainsi à créer une forme de narration en totale symbiose avec l'œuvre originale. Une pure délectation!