Spécialiste du polar, François Rivière fait revivre les reines du crime anglo-saxonnes
"Et pourquoi les femmes réussissent-elles les polars bien mieux que les hommes?" C'est de cette interrogation de l'écrivain américain Raymond Chandler qu'est né le nouvel ouvrage de François Rivière. Pourtant, "De l'assassinat considéré comme une affaire de femmes" ne répond pas à cette question, car de réponse, il n'y en a pas. "C'est un mystère. Et c'est justement parce que les femmes se réfugient dans un mystère qu'elles ont envie d'écrire des choses mystérieuses", avance le journaliste littéraire français dans l'émission Vertigo du 4 avril.
Passionné depuis lʹenfance par ces autrices fantasques et talentueuses de romans policiers, François Rivière a multiplié les rencontres avec elles dans le cadre de son activité de journaliste littéraire. C'est pour leur rendre hommage et rassembler aussi ses souvenirs qu'est né cet ouvrage personnel, un essai qui déroule à la fois une histoire du polar et le récit de ses entrevues avec les écrivaines anglo-saxonnes.
Agatha Christie, l'aînée honnie
"Patricia Highsmith m'a impressionné au point que j'ai eu envie plus tard d'écrire un livre sur elle et sur sa correspondance avec ses éditeurs, explique François Rivière. Et l'envie m'est venue d'aller un peu plus loin, c'est-à-dire d'en connaître d'autres. J'ai rencontré Ruth Rendell, qui est un peu le fil rouge de ce livre, en collaborant à un documentaire sur Agatha Christie tourné en Angleterre. Je devais l'interviewer à propos de cette romancière. J'ai découvert plus tard qu'elle détestait totalement cette pionnière du roman criminel en anglais qui était son aînée, car elles n'étaient pas du même milieu l'une et l'autre. J'ai réalisé qu'il y a avait un côté sociologique intéressant à appréhender à travers des portraits, des rencontres et des interviews de ces femmes".
"Des femmes courageuses"
Outre Agatha Christie, Patricia Highsmith et Ruth Rendell, l'ouvrage s'attarde également sur Joyce Carol Oates ou encore l'Anglaise P.D. James, qui incarne le versant conservateur de la fiction féminine policière. A l'inverse de Ruth Rendell, qui était quant à elle travailliste. "Leurs origines montraient déjà le parcours qu'elles allaient avoir, indique François Rivière. Ce sont des femmes courageuses, qui se lancent dans la fiction et qui deviennent des phénomènes. Beaucoup de lecteurs et lectrices se sont mis à aimer le roman policier grâce à des auteures féminines".
L'approche féminine de la fiction est-elle foncièrement différente de celle des hommes? "Marguerite Yourcenar disait qu'il n'y a pas d'écriture féminine. Je ne suis pas tellement d'accord avec elle, affirme François Rivière. (...) Tout a commencé au XVIIIe siècle avec une certaine Ann Radcliffe, qui écrivait des romans terrifiants avec des héroïnes séquestrées dans des châteaux. Il y a quand même une veine totalement féminine qui a prospéré après le XIXe siècle. On parle souvent de Dickens et des écrivains victoriens de l'époque, mais il existe aussi des autrices victoriennes. Les écrivaines du XXe siècle ont poursuivi au fond une trajectoire qui était une sorte d'école purement féminine du roman à sensation. (...) Elles affirmaient leur volonté de se libérer à travers l'écriture et d'aller plus loin dans l'étude de la psychologie des personnages, qu'ils soient femmes ou hommes".
Propos recueillis par Rafael Wolf
Adaptation web: Melissa Härtel
François Rivière, "De l'assassinat considéré comme une affaire de femmes", éd. Calmann-Lévy, mars 2024