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"Ultra violet", la brûlure de la réussite selon Margaux Cassan

Margaux Cassan. [© JF PAGA]
Entretien avec Margaux Cassan, autrice de "Ultra violet" / QWERTZ / 29 min. / lundi à 00:00
Récit personnel et essai philosophique, "Ultra violet" de Margaux Cassan dissèque le bronzage comme un "fait social total" en retraçant l'histoire de sa mère. Avec ce livre, l'autrice opère une relecture sociologique, religieuse et mythologique de l'exposition au soleil, revisitant le mythe d'Icare.

Quand apparaît sur le haut du front de Gabrielle, la mère de l'autrice, "une petite tache violette, légèrement bombée", c'est la mort qui frappe à la porte de cette férue du bronzage. Dans les années 1980, les "Rastignac du soleil" sont les maîtres du monde, ils ont le vent en poupe, tout leur réussit. Gabrielle, elle aussi, veut en faire partie.

À cinquante ans, maman n'y avait pas échappé. Elle avait rôti, elle était à point. C'était l'aboutissement logique d'une vie entière à chasser les rayons.

Extrait de "Ultra violet" de Margaux Cassan

Pour retracer l'histoire de sa mère et de son obsession, l'autrice se plonge dans sa propre histoire, mais également dans celle de l'exposition au soleil, dont elle opère une relecture sociologique, religieuse et mythologique. C'est le mythe d'Icare et l'intime fréquentation avec la boule de feu, jusqu'à la fusion et la disparition, qu'elle revisite. Elle ne manque pas de rappeler également comment les bains de soleil et les sanatoriums ont été des pratiques médicales thérapeutiques courantes qui trouvent, pour partie, leur origine en Suisse.

Le soleil bactéricide, le soleil synonyme de vie, de force et de pleine santé, confère des super pouvoirs. Avant de devenir un agent d'accélération du vieillissement et de dangers sanitaires sérieux désormais reconnus. Mais rien ne calme les fils et filles du soleil: bronzer, c'est procéder à une mue, y compris sociale, en même temps qu'à une quête d'identité.

Le mythe de l'homme bronzé

Pour comprendre sa mère, Margaux Cassan explore aussi sa généalogie. Elle traverse le périphérique et part interroger Jeanne, sa grand-mère, dans le Val-de-Marne. Cette recomposition de la lignée maternelle permet à la petite-fille de saisir l'intensité de la volonté avec laquelle sa mère a désiré s'arracher à son milieu originel.

Sortir de la banlieue, devenir une véritable Parisienne, intra-muros, fréquenter les festivals littéraires où croiser les Jean-Paul Enthoven, Jack Lang, Jacques Séguéla et autres stars au teint similaire au sien, ou encore se rendre dans la Ville Rouge en Afrique du Nord, là où ces "Rastignac du soleil", comme les nomme l'autrice, se retrouvent.

Cet abandon total au rayon de l'astre suprême est synonyme d'une forme de toute-puissance et de liberté à s'affranchir des faibles et des mous. Philosophiquement et physiquement, le surhomme est un homme bronzé, il est disciple de Nietzsche basané et relègue le pâlichon Kant.

Ultraviolets ultras violents

L'addiction est là. Quand le soleil se cache, c'est la machine à bronzer qui prend le relais. Se noircir la peau devient une obsession qui se traduit par cette phrase anodine que la mère de l'autrice ne cesse de répéter à sa fille chaque fois qu'elle prend de ses nouvelles: "Ma chérie, tu as pu profiter du soleil quand même?". L'autrice pourra-t-elle y échapper, ou deviendra-t-elle, elle aussi, une tanorexique, nom que l'on donne à celles et ceux qui développent une forme de dépendance pathologique au bronzage, jusqu'à adopter des comportements à risque?

On frappe un enfant, on l'insulte, mais quand on le fait bronzer, est‑ce qu'on lui fait du mal?

Margaux Cassan, autrice de "Ultra violet"

Enfin, si Margaux Cassan choisit d’écrire son titre "Ultra violet" en deux mots, c'est pour souligner la proximité avec l’ultra violence. Lors de sa première séance d'UV dans la machine à bronzer, l'autrice, alors adolescente, va jusqu’à se demander si imposer le bronzage à un enfant n’est pas une forme de maltraitance.

Avec "Ultra violet", nous en apprenons autant sur l'intimité et l'histoire familiale de l'autrice que sur nos relations d'enfants d'Icare avec l'astre qui, pour ainsi dire, symbolise à la fois notre début et notre fin.

Céline O’Clin/ld

Margaux Cassan, "Ultra violet", éditions Grasset, octobre 2024.

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