"Ta promesse" de Camille Laurens, autopsie d'une perversion narcissique

L'autrice française Camille Laurens. [Editions Gallimard - Francesca Mantovani]
Entretien avec Camille Laurens, autrice de "Ta promesse" / QWERTZ / 27 min. / hier à 00:01
Dans "Ta promesse", son dernier roman paru ce mois de janvier, l'autrice française Camille Laurens décortique la manipulation d'une femme entre les mains d'un pervers narcissique, et comment l'écriture peut être un salut.

Au début, tout va bien. Claire Lancel, écrivaine, sort d'une relation toxique avec son ex-mari, jaloux de son succès. Un soir de Nouvel An, elle croise le regard de Gilles Fabian: c'est l'étincelle qu'elle n'attendait plus. Attentionné, merveilleux au lit, tendre et à l'écoute, Gilles semble idéal, à quelques détails près. Une certaine vacuité dans ses propos, des phrases à l'emporte-pièce qui font se demander à Claire s'il n'est pas "complètement con".

Parfois, de plus en plus souvent, des réactions colériques imprévisibles et des reproches. Malgré les avertissements de son amie Carole, la romancière choisit de passer outre tous les "red flags", ces drapeaux rouges annonciateurs du pire. L'amour est trop fort. "Ils étaient heureux comme nous rêvons tous de l'être", aurait dit Balzac.

Tirer les fils

Au fil des pages de ce roman polyphonique émerge le contexte d'entretiens judiciaires dans le cadre d'une enquête. Il s'avère que Claire Lancel a commis un acte grave sur Gilles, poussée à bout par cette relation de quatre ans dont la toxicité s'est refermée sur elle comme un inévitable étau.

Par amour, elle cède tout, quitte son appartement parisien, ses amies, accepte de suivre Gilles à Toronto, le seconde dans l'écriture de ses mémoires. Ses territoires, physiques, géographiques, créatifs sont réduits telle une peau de chagrin (Balzac, encore lui!). Jusqu'à ce jour d'été où, devant un bar en croûte de sel, Gilles Fabian lui a fait promettre de ne jamais écrire sur lui. Or, peut-on demander à une romancière de renoncer à injecter sa vie dans son œuvre? Ne s'agit-il pas là de l'ultime contrôle qu'un prédateur tireur de ficelles souhaite imposer à sa proie dans le but de la piéger intégralement?

Gilles prend ta main, la caresse: "Je voudrais que tu me promettes …". Il te regarde et presque, il t'observe. "… de ne jamais écrire sur moi". Tu n'as pas vu venir le coup. Tu baisses la tête, rictus réflexe, surtout cacher le dépit qui te durcit instantanément la mâchoire comme un protège-dents

Extrait de "Ta promesse" de Camille Laurens

Roman psychologique

Dans "Ta promesse", Camille Laurens a voulu raconter la difficulté à dire l'emprise et à la prouver dans le cadre d'une enquête judiciaire. "On oublie bien souvent que la violence psychologique peut tuer", insiste l'autrice. Claire Lancel doit prouver que l'acte violent qu'elle a commis sur Gilles Fabian a été provoqué parce qu'elle était à bout.

Mais c'est aussi un roman sur le rapport entre l'écriture et la vie, qui mélange les codes du polar, de la nouvelle et du poème, "parce que cette écrivaine essaie de reprendre pied dans la vie par l'écriture, précise Camille Laurens dans le podcast QWERTZ du 9 janvier. Je voulais montrer le cheminement de la création."

Ainsi, autant la chute de Claire Lancel dans les filets de l'emprise narcissique est vertigineuse, autant son retour à l'écriture, qu'elle effectue en rompant son serment, est un véritable envol. Ce qui fait de "Ta promesse" un roman à rebondissements.

Ellen Ichters/ld

Camille Laurens, "Ta promesse", ed. Gallimard, janvier 2025.

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