"Sarabandes X" de Corentin Durand, de la guerre d'Indochine au porno français

Fasciné par la guerre d’Indochine (1946-1954), Corentin Durand découvre "Patrouille de choc" (1957), un film de guerre réalisé par le reporter Claude Bernard-Aubert. L'écrivain s'interroge alors sur le parcours du scénariste et réalisateur. Comment cet idéaliste qui a signé quelques films d’auteur, pas seulement sur l’indicible horreur de cette guerre, le nihilisme et la perte de sens, a-t-il pu s’oublier dans le cinéma porno?

Le roman est né avec la brève notice biographique de ce cinéaste dont je sentais qu’elle possédait une force romanesque assez dingue.

Ressemblances assumées

Pour Corentin Durand, la trajectoire de Claude Bernard-Aubert possède tous les ingrédients permettant d’imaginer sa vie fictive, celle de Paul-Bernard. Dès lors, l’auteur tire ce fil et complète sa distribution en s’inspirant de l'icône des yéyés Nino Ferrer. Il sera Angelo dans "Sarabandes X", prisonnier d’un système qui le condamne à chanter toujours les mêmes niaiseries et l’ami indéfectible de Paul-Bernard depuis l’Indochine.

Linda, l’amoureuse d’Angelo, est directement inspirée de Linda William, autre chanteuse au destin prématurément broyé. Pour Marguerite Anouet, alias Veronica Billa, la muse et l’amour absolu de Paul-Bernard, l’auteur a jeté son dévolu sur Marylin Jess, actrice porno à succès. Ses personnages ainsi posés, il ne restait plus à Corentin Durand qu'à trouver sa place dans son propre roman. Ainsi, il est Pierre, ce fils qui entretenait un rapport complexe avec son père et qui découvre son histoire insoupçonnée au lendemain de son décès. 

Encouragé par Marguerite, Pierre pousse la porte du studio d’enregistrement resté dans son jus et comprend peu à peu comment le porno a volé au secours de l’amour. Paul-Bernard n’a pas seulement embrassé une carrière dans le cinéma X pour contrer une banqueroute fatale, mais surtout pour éviter que sa muse, son aimée de toujours, Marguerite, ne lui échappe à jamais. Il réalise aussi l’importance de cette Villa Caprice qu’il a toujours connue à Royan, un héritage indochinois de l’énigmatique et fortuné médecin philosophe Motton, traquant son fameux "livre à brûler" dans le Mékong et qui n’en est jamais revenu.

Trois romans en un

Avec "Sarabandes X", Corentin Durand signe une fresque au style enlevé, un récit exigeant où les personnages et les liens qu’ils tissent supplantent une action souvent au point mort. "Sarabandes X" réclame une concentration de tous les instants, car le texte charcuté ne cesse de naviguer du Vietnam à la France, des années 1950 à aujourd’hui, alternant les époques et les lieux sans logique apparente comme si le temps et l’espace étaient distordus.

C’est à la fois un malheur et une bénédiction, cette possibilité que le temps a de bégayer et se retourner sur lui-même. Le roman permet de créer du flottement, je ne souhaitais pas m’en priver.

C’est donc un incessant va-et-vient, tantôt poignant sur la folie de cette guerre d’Indochine, tantôt léger dans des années 1970 bourrées d’espoir. Tantôt bouleversant aussi, en 2018, avec ce fils narcoleptique largué qui traque la véritable identité de son géniteur, tout en s’interrogeant sur la sienne alors que son mariage périclite. Un savoureux roman qui ressemble à un tissu où seul l’amour résiste au chaos.

Philippe Congiusti/mh

Corentin Durand, "Sarabandes X", ed. du Seuil, janvier 2025.

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