"Ne laissez pas le monde vous voler les mots". Cette injonction résonne avec force dans "Écoutez nos défaites" (Actes Sud), le dernier roman de Laurent Gaudé. Face à la tentation du néant prônée par Daech, l'auteur affirme la nécessité de poser des mots sur l'état du monde afin, peut-être, d'approcher une vérité.
La menace terroriste mise en fiction
Grand Format
Introduction
"Versus-lire" consacre une semaine aux écrivains qui mettent en scène la menace terroriste et la réalité des attentats. Par Jean-Marie Félix.
Laurent Gaudé pose des mots sur l'état du monde
Arnaud Cathrine retrace les attentats de Paris
Si Laurent Gaudé évoque la folie des hommes dans une épopée où plane au loin l'ombre de Daech, une dizaine d'autres auteurs évoquent le terrorisme plus directement en se référant notamment aux attentats qui ont secoué Paris en 2015.
À commencer par Arnaud Cathrine. Dans "À la place du cœur" (Robert Laffont) roman destiné aux jeunes lecteurs, l'auteur retrace jour après jour une semaine décisive dans la vie d'un adolescent de 17 ans.
Semaine du 7 janvier 2015 où la déflagration des attentats de Charlie Hebdo a condamné le dernier sentiment d'innocence.
Entre découverte du premier amour et manifestations d'extrême violence, le jeune héros accède à la réalité des adultes dans un précipité temporel. Chez Arnaud Cathrine, nulle volonté d’expliquer. Seulement de mettre en représentation, de jeter un regard sur le monde par les mots.
La fiction romanesque de Fouad Laroui
Trouver les mots pour tenter de comprendre la dérive vers l'islamisme radical. Tel est le projet de Fouad Laroui, auteur de "Ce vain combat que tu livres au monde" (Julliard). Français d'origine marocaine, Fouad Laroui a publié il y a une dizaine d'années un essai sur la question de l'islamisme.
Conscient des limites du genre, il y revient aujourd'hui par l'intermédiaire de la fiction romanesque. Car la fiction favorise l'effet d'identification grâce à l'empathie que peut ressentir le lecteur envers les personnages. Même envers un homme emporté par l'extrémisme, capable de semer la mort. La réalité transposée sur le mode de la fiction s'impose alors dans une vérité nouvelle.
Julien Suaudeau publie un roman aux accents prémonitoires
"L'écrivain ne prédit pas l'avenir, mais il est capable de mettre à jour ce qui est latent, encore invisible". Cette conviction est celle de Julien Suaudeau qui, en 2014, publiait "Dawa". Son roman aux accents prémonitoires relatait une série d'attentats islamistes survenus dans une ville de Paris sidérée.
Aujourd'hui, Julien Suaudeau aborde à nouveau ce thème, en changeant de focale, dans un troisième roman dont le titre est emprunté à Aragon: "Ni leu feu ni la foudre" (Robert Laffont).
L'auteur donne la parole à cinq personnages traversant la journée du 13 novembre 2015. Journée ordinaire pour ces êtres de fiction, tous reliés par le même drame qui se profile. Journée extraordinaire pour le lecteur qui a connaissance des faits à venir.
Là aussi, l'empathie est possible envers des personnages potentiellement situés de l'autre côté du viseur.
Judicieusement, l'auteur conclut son récit au moment où débute le concert du Bataclan. La suite est connue…
Olivier May appréhende la vérité par la fiction
Le Genevois Olivier May s'est largement inspiré de son expérience d'enseignant dans un collège pour écrire "Djihad Jane" (Encre fraîche), longue nouvelle contenue dans un recueil éponyme.
L'auteur y décrit une adolescente instable, en quête d'identité. À la suite d'un abus sexuel commis par un enseignant, la jeune femme va décrocher et se laisser embrigader dans un mouvement djihadiste pour se retrouver sur le front syrien à lutter contre les peshmergas. De retour en Suisse, acquise à la violence, elle préparera un attentat contre l'établissement scolaire où elle a fait ses classes cinq ans plus tôt.
Comme Fouad Laroui, Olivier May croit à la puissance de l'identification. Selon lui, il est nécessaire d'entrer dans la tête de Jane pour comprendre son cheminement. Seule la fiction est capable d'appréhender cette vérité.
On retrouve ce thème dans le film "Le Ciel attendra", une fiction très documentée de Marie-Castille Mention-Schaar décortique les méthodes d’embrigadement de Daech, qui recrute essentiellement via internet.
"Le Ciel attendra", ou comment Daech embrigade des jeunes filles
Laurence Tardieu aborde l'onde de choc des attentats
Enfin, Laurence Tardieu évoque la déflagration du 7 janvier en la faisant résonner avec son histoire personnelle. Confrontée à l'obligation douloureuse de vendre la maison familiale en décembre 2014, la romancière projetait d'écrire un roman autour de la perte intime que représente cette vente. Dans la foulée sont survenus les attentats de janvier 2015. La perte intime s'est alors superposée à la perte collective. La mort violente à la promesse de vie, car Laurence Tardieu était enceinte à ce moment-là. Né d'un besoin de mettre des mots sur un tragique paradoxe, "A la fin le silence" (Le Seuil) aborde avec une extrême sensibilité l'onde de choc des attentats terroristes.
Crédit
Une proposition de Jean-Marie Félix pour "Versus-lire" du 3 au 7 octobre 2016, sur Espace 2.
Réalisation web: Lara Donnet