Leïla Slimani était la favorite des quatre finalistes pour nombre de critiques littéraires. Le verdict des dix membres du jury présidé par Bernard Pivot a été annoncé comme chaque année du restaurant Le Drouant, au coeur de Paris, peu avant 13 heures.
Le Goncourt demeure une aubaine pour les éditeurs. En moyenne, un livre primé s'écoule à plus de 345'000 exemplaires. L'an dernier, il a récompensé "Boussole" de Mathias Enard (Actes Sud), un ouvrage sur les liens entre l'Orient et l'Occident.
"Chanson douce", histoire atroce et extrêmement bien construite, raconte l'assassinat de deux jeunes enfants par leur nourrice. C'est d'ores et déjà un succès de librairie. Deuxième roman seulement de l'écrivaine, née au Maroc il y 35 ans, il se dévore comme un thriller mais peut aussi se lire comme un livre implacable sur les rapports de domination et la misère sociale.
L'effet Virginie Despentes?
Faut-il y voir l’influence de Virginie Despentes qui a récemment rallié la prestigieuse Académie Goncourt? Distinguer Leïla Slimani, c’est d’abord ne pas avoir peur des sujets qui ébranlent.
Le premier roman de la jeune auteure, "Dans le jardin de l’ogre", confrontait le lecteur à l’addiction sexuelle, c’était âpre.
"Chanson douce", nous plaque violemment contre un sujet vieux comme la tragédie humaine : l’infanticide. C’est cru et c’est cruel. Première phrase du roman: "Le bébé est mort". Dernière réplique, 200 pages plus loin: "Les enfants venez, vous allez prendre un bain".
Entre deux, le récit méticuleux d’une dérive meurtrière. Celle de Louise, nounou modèle engagée par un jeune couple aisé pour s’occuper des deux enfants en bas âge.
Du suspense
Leïla Slimani mise peu sur le suspense. Le meurtre des deux têtes blondes dans la baignoire est constaté d’emblée. La coupable désignée. Reste à savoir ce qui a mené cette petite femme au visage de poupée à égorger la progéniture dont elle avait la charge.
Séquences courtes, présent narratif, écriture limpide tendant toujours à la précision clinique, le lecteur est forcément embarqué dans cette autopsie d’un meurtre. Au fil des pages, les faits et gestes des protagonistes sont analysés avec une justesse et une finesse saisissantes. Malgré cela, le geste ultime, dicté par une fureur du fond des âges, garde sa part de mystère.
Un Goncourt pour un récit sur l'intime
Récemment, le jury du Goncourt a salué Mathias Enard et son érudite épopée du souvenir, Pierre Lemaître et sa cruelle fresque sociale des Années folles, Alexis Jenni et son héroïque et interminable "Art français de la guerre". Avec Leïla Slimani, resserrement de focale sur l’intime, et sur l’insondable profondeur de l’âme humaine.
>> Lire à ce sujet : Le Goncourt 2015 décerné à Mathias Enard, le Renaudot à Delphine de Vigan
"Chanson Douce" , une histoire ancrée dans notre réalité sociale, certes. Mais la maîtrise du récit rattache ce roman de notre temps à quelques grandes figures tragiques d’un autre temps: rappelez-vous Médée et sa fureur infanticide. Fureur d’une femme blessée, outragée. Louise est de cette trempe! Mais tellement plus seule, plus effacée. Tellement contemporaine.
Jean-Marie Félix/mcc et gax
Le prix Renaudot à Yasmina Reza
Dans la foulée du Goncourt et concluant la saison des grands prix littéraires d'automne, le jury Renaudot, réuni également au restaurant Le Drouant, a attribué son prix à Yasmina Reza pour "Babylone".
Les quatre autres finalistes étaient Adélaïde de Clermont-Tonnerre, qui vient de décrocher le Grand Prix du roman de l'Académie française, Régis Jauffret, Simon Liberati et... la lauréate du Goncourt Leïla Slimani.
Les prix Goncourt et Renaudot avaient deux finalistes en commun, Leïla Slimani et Régis Jauffret, mais le jury Goncourt a la priorité du choix et il n'y ainsi pas de doublon.